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3 novembre 2018 6 03 /11 /novembre /2018 09:28
Sa majesté des mouches roman de W Golding, 1954; film de P. Brook 1963

Sa majesté des mouches roman de W Golding, 1954; film de P. Brook 1963

 Premier texte donné à la TL en DS de 2 heures avant qu'ils ne partent tous en voyage pour Londres,  début octobre. Compte tenu du temps imparti, je n'avais demandé qu'une introduction méthodique, (thème, question, problème, thèse et mouvement ! ) et des explications sur deux phrases, comme on fait finalement dans les séries technologiques. C'était pas si mal ! La seule chose c'est qu'ils ont toujours du mal à ne pas que paraphraser; c'est pourquoi, dans ce corrigé, j'ai insisté sur ce que le cours pouvait apporter comme éléments utiles en m'interdisant le plus possible mes connaissances sur les philosophes, en essayant de faire un corrigé imitable. 

 

 

 

Raisonner avec les enfants était la grande maxime de Locke ; c'est la plus en vogue aujourd'hui ; son succès ne me paraît pourtant pas fort propre à la mettre en crédit ; et pour moi je ne vois rien de plus sot que ces enfants avec qui l'on a tant raisonné. De toutes les facultés de l'homme, la raison, qui n'est, pour ainsi dire, qu'un composé de toutes les autres, est celle qui se développe le plus difficilement et le plus tard ; et c'est de celle-là qu'on veut se servir pour développer les premières !  Le chef-d'oeuvre d'une bonne éducation est de faire un homme raisonnable : et l'on prétend élever un enfant par la raison !  C'est commencer par la fin, c'est vouloir faire l'instrument de l'ouvrage.  Si les enfants entendaient raison, ils n'auraient pas besoin d'être élevés ; mais en leur parlant dès leur bas âge une langue qu'ils n'entendent point, on les accoutume à se payer de mots, à contrôler tout ce qu'on leur dit, à se croire aussi sages que leurs maîtres, à devenir disputeurs et mutins ; et tout ce qu'on pense obtenir d'eux par des motifs raisonnables, on ne l'obtient jamais que par ceux de convoitise, ou de crainte, ou de vanité, qu'on est toujours forcé d'y joindre." 

                                                                       

                                                                                                            ROUSSEAU, Émile, livre II

 

INTRODUCTION :

L’homme, dit Aristote, est un « animal raisonnable ». L’animal étant rivé à ses instincts, il n’en est pas doté. Pourtant si cette distinction nous paraît juste en ce qui concerne les adultes, qu’en est-il des enfants ? L’enfant est-il un petit animal raisonnable avec lequel on puisse raisonner ? La réponse à cette question ne va pas de soi ainsi que le texte lui-même nous l’expose. En effet, la réponse la plus logique serait d’affirmer que l’enfant étant  un membre de l’espèce, il la possède, par nature, on peut donc y faire appel pour son éducation ;  telle est la thèse de Locke. Mais Rousseau s’inscrit en faux contre cette dernière et affirme que la raison étant la fin de l’éducation, elle ne saurait, sans contradiction,  en être le moyen .

         Voici comment il  établit cette thèse  :

Dans un premier moment, de la ligne 1à 3,. Il explique pourquoi, dans un deuxième moment, ligne 3 à 7 en se référant à la nature et de la raison et à son difficile développement :  la raison étant la fin de l’éducation, au double sens du mot, le terme et le but, elle ne saurait en être le moyen. Enfin dans un dernier moment, de la ligne 7 à la fin, Rousseau  dégage les conséquences moralement et intellectuellement désastreuses d’une éducation ou moyens et fins sont inversés. Rousseau confirme par là  que l’enfant n’est pas un petit  animal raisonnable mais  un être potentiellement raisonnable.

 

 

 

EXPLICATION :

 

I Rousseau rappelle la thèse de son adversaire, Locke, et la juge illégitime. La théorie de Locke sur l’éducation consiste à raisonner avec les enfants. Cela veut dire qu’il faut constamment leur faire comprendre ce qu’on leur impose, ne jamais leur faire d’injonction ou de punition sans leur expliquer patiemment les raisons de nos ordres. Leur dire par exemple, pourquoi il faut se coucher tôt, pourquoi il faut être poli, pourquoi ils ne peuvent sortir seuls, pourquoi il faut faire des mathématiques ou du latin,  et quand on peut, les laisser arbitrer sur le choix des vêtements, du dessert, ou des matières enseignées à l’école etc. On peut penser qu’une telle affirmation est extrêmement contemporaine, l’éducation autoritaire nous semblant abusive et totalement dépassée. On ne voit pas en effet comment on pourrait faire des adultes responsables et autonomes s’ils ont toute leur enfance obéi aveuglément à leurs maîtres ! Malgré, ou pourrait –on dire, à cause de son succès, Rousseau la considère comme erronée. Il faut ici remarquer que le philosophe dénonce l’effet de mode et le fait qu’une majorité ne  détient que rarement  la vérité : « son succès ne me paraît pourtant pas fort propre à la mettre en crédit ». Il suggère que l’on peut avoir raison contre tous. Cette proposition n’est pas surprenante de la part d’un philosophe, en général,  La vérité s’oppose souvent au préjugé et de Rousseau en particulier, qui  n’a pas toujours partagé l’optimisme  des philosophes des Lumières. On peut avoir raison contre tous. Son jugement sur la pratique qui consiste à raisonner avec les enfants est sans appel, c’est pure « sottise » . Associer raison et sottise est franchement paradoxal : les enfants ne font-ils pas partie des « animaux raisonnables » ? Comment être libre si l’on a obéi toute sa vie, être majeur lorsqu’on est tout le temps traité en mineur ? Locke n’est-il pas dans le vrai ? Ne faut-il pas que Rousseau  s’explique ? C’est l’objet de la seconde partie .

 

 

 

II Dans ce second moment Rousseau va définir et la nature et la genèse de la raison pour justifier son point de vue . Premièrement, la raison est une faculté « complexe », deuxièmement et conséquemment, elle ne se développe que « tardivement ».

         Qu’appelle-t-on au juste la raison ? L’étymologie nous indique que la raison est liée au calcul, ce dernier renvoie à des capacités d’abstraction que l’on n’a pas dès son plus jeune âge. Lorsque les économistes ont recours à la notion d’ « homo economicus », il désigne par là l’individu rationnel capable de calculer et prévoir son intérêt. Autrement dit, la raison a deux aspects, au moins, un usage théorique que l’on rencontre dans le raisonnement, la rationalité  proprement dite et un usage pratique qui permet aux hommes de n’être pas soumis aux instincts, tendances, pulsions de toutes sortes et d’être capable de répondre de ses actes . On voit bien qu’un bref rappel de ce qu’est la raison nous permet de dire que ce n’est pas le fort des enfants, plus soucieux d’écouter leur gourmandise et le pâtissier que le médecin et son régime. Quant à la rationalité théorique, la psychologie nous indique que les enfants procèdent plus par association d’idées, à l’affectif , parfois à la pensée magique (« la table est méchante, elle m’a fait mal »)  qu’à la pensée rationnelle .

Précisément, le but de l’éducation n’est-il pas de parvenir à « faire sortir » ses capacités réelles mais enfouies ?  La pédagogie est cet art qui permet de conduire l’enfant au savoir . Dit autrement, Locke considère que la pédagogie est superflue et que, par exemple, la géométrie étant vraie, l’histoire et les langues anciennes  nous permettant de connaître les hommes du passé,  elles ne sauraient être ignorées d’un esprit raisonnable, fût-il dans un corps d’enfant. Ne faut-il pas comme le dit Rousseau développer les premières facultés de l’esprit pour développer la raison. Les facultés naturelles de l’enfant  ne résident pas dans la raison, il suffit de les avoir un peu observés pour le savoir : au-delà des facultés biologiques communes aux vertébrés,  c’est la capacité à imiter qui est la plus évidente et qui déjà révèle leur différence fondamentale avec les bêtes. Ils imitent les adultes, répètent leurs gestes ; leur expression et bien évidemment leur langage. Mais il y a loin de la capacité à répéter des sons, à la connaissance de la langue, à la compréhension d’un concept. Le film de François Truffaut qui rapporte l’histoire d’un enfant sauvage nous le montre bien. Le docteur Itard entend bien suivre une progression pour amener Victor « de la difficulté vaincue à la difficulté à vaincre ».  Une des conditions fondamentales pour son instruction est de capter l’attention de Victor car la lecture et l’écriture ne l’enthousiasment guère. Aussi, le maître doit-il ruser et au départ attirer son attention par le penchant  naturel de la gourmandise. Dans la scène des gobelets, il cache une noix, puis progressivement des  choses non comestibles sans que l’attention n’en pâtisse.   Enfin, le succès lors de la mise à l’épreuve destinée à provoquer le sentiment d’injustice lui prouvera qu’il était parvenu à  faire passer Victor de l’homme sociable à l’homme moral, expression la plus noble de notre humanité. En effet,  la conscience morale suppose un jugement autonome capable de résister à la peur ou au conformisme : ce n’est pas à la portée du très jeune enfant. Il faut déjà qu’on lui ait appris à résister à ses penchants naturels.

         Dans tous les cas, les autres facultés comme la mémoire et l’imagination n’exigent pas des efforts constants et de la pédagogie pour se manifester. C’est pourquoi la raison apparaît comme ce qu’il faut cultiver et faire progressivement émerger par du travail et du jeu. Il est donc évident que ce projet, s’il doit servir de guide au maître, ne saurait être présupposé chez l’enfant.
La raison est sans doute ce qui nous distingue des bêtes mais elle n’existe qu’en puissance chez l’enfant. Présupposer qu’il la possède entièrement est insensé puisqu’on prétend faire un moyen de la fin. C’est être un mauvais maître et ne rien comprendre à la nécessité de la pédagogie et ne pas voir l’absurdité de l’idée même d’éducation. Mais l’argumentation à charge de Rousseau ne s’arrête pas là. Quelles sont donc les conséquences dramatiques de ce renversement ? c’est l’objet du dernier paragraphe.

 

 

 

 

III Rousseau va montrer les conséquences intellectuelles et morales de la faute des maîtres sur les enfants. Rousseau constate qu’il se produit une perversion du projet éducatif lorsqu’on raisonne avec les enfants.

Parler aux enfants comme s’ils étaient des adultes, argumenter, réfuter,  discourir, disputer c’est trahir la raison devrait être au service de la sagesse . Incomprise des enfants,  la raison,  est interprétée comme un instrument au service du paraître. Et,  au lieu que les mots servent à la recherche de la vérité, ils servent à la cacher et à se faire valoir ;  il s’habitue, dit Rousseau « à se payer de mots » et à défier l’autorité du maître : « ils deviennent disputeurs et mutins ». C’est finalement la plus grave accusation car cela signifie que les enfants ne font plus confiance aux adultes, confiance qui est pourtant la condition de la relation pédagogique des deux protagonistes, l’éducateur et l’éduqué.

 La raison et les motifs ne signifiant rien pour eux, ils ne sont plus capables d’obéir. C’est alors que les maîtres soucieux de se voir obéis, parce qu’il le faut bien, ont recours aux moyens les moins rationnels : les passions sociales qu’ils font naître et entretiennent et qui sont de puissants mobiles d’agir. Convoitise, crainte et vanité ne sont pas les caractéristiques de la raison, de l’autonomie du jugement et de la sagesse mais au contraire ce qui nous maintient à tout jamais dans l’hétéronomie et les préjugés de toutes sortes. Tout se passe comme si finalement, au lieu d’apprendre à obéir, ils n’étaient capables que de soumission .  Rousseau montre ici beaucoup de finesse et dit implicitement que l’on n’a pas à tout dire à l’enfant. Il faut lui parler un langage qu’il comprenne ou ne pas lui parler du tout parfois. Le laisser faire sa propre expérience en veillant par exemple à ce qu’il ne se mette pas en danger constitue un exemple de méthode beaucoup plus utile que de lire tous les livres de la terre. Et bien sûr , être soi-même un exemple. Parler de vertu et de bonnes mœurs si l’on n’est pas soi-même un exemple ne produira que la maîtrise de l’hypocrisie .

 

 

 

CONCLUSION

 

Faut-il raisonner avec les enfants ? Rousseau entreprend  de montrer l’inanité  d’un tel précepte éducatif.  L’argument fondamental consiste à dire que c’est prendre la fin pour les moyen, c’est donc insensé. Les conséquences de cette inversion sont redoutables car traiter les enfants comme s’ils étaient des adultes en miniature les détournent à tout jamais de parvenir à la « majorité » tant sur le plan de l’ intelligence que de la  vertu, ce qui est pourtant le plus beau résultat de la raison. Dans ce texte, Rousseau ne nous indique pas directement sa méthode mais elle est implicite et se pose en opposition avec celle de Locke . On le voit,  réfléchir sur l’éducation des enfants n’est pas un sujet indigne des philosophes, l’enjeu est beaucoup trop important, ce qui se trouve en jeu c’est la possibilité d’un régime républicain formé de citoyens vertueux et non d’hommes puérils et vaniteux ayant toujours besoin de maître.

 

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