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30 octobre 2015 5 30 /10 /octobre /2015 08:53

"Car qu’un géant et un nain marchent sur la même route, chaque pas qu’ils feront l’un et l’autre donnera un nouvel avantage au géant." ROUSSEAU 

 

The Little Adrien le plus petit Nain du monde entier  (69 cm) de retour d'Amérique avec le colos­sal Géant Hugo célèbre par sa grandeur  (2m30) et sa carrure puissante. nés à la fin du XIX ème siècle .

 

 

 

 

 

"Il est aisé de voir qu'entre les différences qui distinguent les hommes, plusieurs passent pour naturelles qui sont uniquement l'ouvrage de l'habitude et des divers genres de vie que les hommes adoptent dans la société. Ainsi un tempérament robuste ou délicat, la force ou la faiblesse qui en dépendent, viennent souvent plus de la manière dont on a été élevé que de la constitution primitive des corps. Il en est de même des forces de l'esprit, et non seulement l'éducation met de la différence entre les esprits cultivés, et ceux qui ne le sont pas, mais elle augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture; (...)Or si l'on compare la diversité prodigieuse d'éducations et de genres de vie qui règnent dans les différents ordres de l'état civil, avec la simplicité et l'uniformité de la vie animale et sauvage où tous se nourrissent des mêmes aliments, vivent de la même manière, et font exactement les mêmes choses, on comprendra combien la différence d'homme à homme doit être moindre dans l'état de nature que dans celui de société et combien l'inégalité naturelle doit augmenter dans l'espèce humaine par l'inégalité d'institution."                            

                                                                         ROUSSEAU

 

 

                           

 

 

RQ : Texte donné au mois d'octobre . J'ai encore (!) découvert que les élèves ne savent  pas lire ! Une classe de TES, notamment, a lu, comme un seul homme, que les inégalités naturelles produisent les inégalités sociales . Ce n'est pas ce que je lis !

Objectif pour l'année  : lire ce qui est écrit ! il est sans doute dommage que ce texte donné au bac ait supprimé la phrase qui sert de commentaire à la photo, elle aurait facilité la compréhension du texte .

une des difficulté pour les élèves, c'est l'allusion à la fiction de l'Etat de Nature, et même si le  le terme  apparaît,  on peut admettre  que les copies ne lui réserve pas un traitement savant  .  Quand on corrige des élèves de terminales, on ne s'attend pas à ce qu'ils aient tout lu ( la connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise ...) la simple attention au texte doit au moins susciter des questions  !

 

 

 

Introduction

 

On pense souvent que certains ont des aptitudes ou des dons naturels qui expliquent et justifient leur réussite dans la société . C’est précisément  ce préjugé que ROUSSEAU va chercher à réfuter dans ce texte . Il s’interroge en effet sur l’origine des différences entre les hommes qui  débouchent sur l’inégalité d’institution.  Il affirme que les différences naturelles ne sauraient    instaurer l’inégalité  dans la société car elles sont dans l’état de nature « moindres » que dans l’état de société . C’est même, paradoxalement,  l’inégalité d’institution qui « augmente » l’inégalité naturelle !  Telle est la thèse paradoxale que soutient l’auteur dans l’extrême fin du texte . Le problème est donc de savoir d’où viennent les différences  parmi les hommes, de la nature ou de la société, comme le pense ROUSSEAU ? L’enjeu est considérable, car si on considère que les différences sont naturelles, alors l’inégalité sociale se trouve justifiée : les meilleurs occupent les meilleures places , mais si les différences n’ont qu’une origine sociale et que de surcroît, elles produisent des inégalités qu’on ne rencontre pas dans la nature, alors, elles sont injustes . C’est donc au fondement de l’ordre social que Rousseau nous invite à réfléchir .

 

 Comment l’auteur établit-il sa thèse ?

Dans un premier moment de la ligne 1 à 3, ROUSSEAU rapporte l’opinion commune concernant l’origine des différences parmi les hommes et qu’il considère comme une apparence : «  passent pour »

De la ligne 3 à 8, le philosophe illustre sa propre thèse à partir des différences physiques et intellectuelles que l’on rencontre habituellement : elles sont l’effet de l’éducation et des genres de vie .

Qu’est-ce qui justifie cette affirmation  et quelle est sa portée ? 

ROUSSEAU va montrer, par une comparaison,  que seul l’état de société peut produire des différences telles qu’elles se muent en inégalités qui, pourtant, « passent pour naturelles ». Tel est l’objet du dernier moment de « or » à la fin du texte .

 

 Explication :

 

 

Dans un premier moment, ROUSSEAU rappelle l’opinion commune concernant l’origine des « différences qui distinguent les hommes ».

Selon cette opinion, elles proviennent «  de la nature », nous dirions aujourd’hui qu’elles sont innées. ROUSSEAU considère que ce jugement est erroné et repose sur une apparence : « elles passent pour naturelles », alors qu’elles sont « l’ouvrage de l’habitude et des divers genre de vie que les hommes adoptent dans la société ». Autrement dit, ce que ROUSSEAU expose implicitement c’est que l’opinion commune renverse la cause de la véritable origine des inégalités : l’opinion commune prend pour naturel ou inné ce qui résulte de la société et qui est « acquis ».

 

Peut-on illustrer en quoi consiste ce jugement erroné ? Tel est l’objet du second moment .

 

          ROUSSEAU va nous montrer en quoi consiste les différences dont il vient de nous parler et d’où, véritablement, elles résultent . Il y a d’abord, les différences physiques, celles qui, en effet sautent aux yeux : la robustesse ou la délicatesse . Il est commun et très banal de considérer que cette différence est naturelle, quelle provient simplement de la constitution de nos propres parents et que « les divers genre de vie » , ni « la société » n’en sont cause . Les différences physiques ne sauraient qu’avoir une cause physique ou « génétique ». ROUSSEAU s’inscrit donc en faux contre cette opinion largement répandue . Il affirme clairement que la force et les faiblesse des corps provient non pas de la nature sur laquelle on n’a pas de prise, mais de « la manière dont on a été élevé », autrement dit, de phénomènes qui relèvent de l’action des hommes .

         Cette affirmation pose évidemment un problème car si les différences physiques ne sont pas innées mais acquises, peut-on savoir quand ce processus a eu lieu et ce qui l’a rendu possible ? Par ailleurs,  si comme l’opinion commune le pense, et comme on le constate généralement  : des parents robustes font de robustes enfants, n’y a-t-il pas  une urgence à connaître cette origine pour agir sur ses conséquences désastreuses ? En effet, si la force qui « passe pour naturelle » ne relève pas de l’hérédité naturelle mais d’un héritage culturel, n’y –a-t-il pas un risque que les différences s’accroissent de façon exponentielle au fur et à mesure que les générations se succèdent ? En quelles proportions les différences auront-elles évolué  au niveau des arrières- petits- enfants ? Ne risque –t-on pas d’avoir, d’un côté des enfants de plus en plus faibles et délicats et d’un autre des enfants de plus en plus forts ?  Et le jugement que nous porterons sur ces différences,  ne considérera-t-il pas comme nulles les causes « sociales », issues des différents genres  de vie que nous aurons menés ? Bref, L’ignorance des causes prétendant rendre compte de ces faits ne sera-t-elle pas renforcée par les apparences ?  Pourra-t-on seulement encore mesurer ces différences ? Ne serons-t-elles pas devenues incommensurables et l'héritage social dont elles sont le fruit  ne « passera » -t-il pas pour « naturel » et héréditaire ?

Nous sommes là au cœur de la problématique du texte qui s’interroge non pas seulement l’origine des différences que sur l’origine du jugement illusoire qui interdit l’accès à la vérité et qui vraisemblablement contribue au renforcement des différences par cette fabrication inconsciente (?) d’un prétendu destin .

 

         Mais qu’en est-il des différences intellectuelles, de la force et de la faiblesse intellectuelles ? « Il en est de même » répond ROUSSEAU. Ce qu’il précise mais que nous avions déjà noté à propos de la différence physique, c’est que la succession des générations ne peut qu’ « accroître » cette différence "à proportion de la culture"  et  ce qui n’était au départ qu’une différence individuelle, devient une différence sociale .  Ce qui n’était qu’une différence minime devient là aussi une différence notable car les arrière- petits-enfants «  des premiers » aurons des « facilités » qui seront autant d’obstacles pour les arrières petits enfants des « seconds ». Il y a une accumulation des forces de l’esprit qui s’effectue au cours des générations et qui donnent aux « premiers » des avantages qu’aucun individu même « doué », issu des « seconds » ne sera en mesure de rattraper .

ROUSSEAU, à ce stade du texte, ne s’est pas contenté d’affirmer une thèse adverse à celle de l’opinion commune, mais il a déjà expliqué les vraies causes des différences entre les hommes et comment l’accumulation de ces différences au cours des générations pouvait rendre raison du jugement illusoire de l’ opinion commune .  Le caractère évident de ces différences au niveau individuel nous rend  inconscients de leurs causes historiques et sociales. Et il en va ici, comme  pour le caractère évident du mouvement du soleil qui nous rend aveugle à notre propre mobilité.

 

Mais en quoi l’explication de ce processus et le jugement qui en ressort sont-ils fondamentaux ? C’est à ce stade qu l’on voit apparaître l’enjeu politique de ce texte et qui fait l’objet du 3 ème et dernier moment.

 

Comment éviter de tomber dans cette illusion qui consiste à renverser les causes des différences et à les prendre pour un destin ? Il s’agit ici de rendre compte de la véritable origine des différences  pour vaincre  le préjugé les concernant .

 Pour sortir de l’apparence qui nous fait prendre les différences liées à l’éducation pour des différences naturelles donc originelles, ROUSSEAU va comparer les différences  qui ont pu exister à l’origine, avant que les hommes ne vivent en société, avant donc l’apparition d’un ordre social non naturel .  « La vie sauvage » et naturelle des premiers hommes est caractérisée par « la simplicité » et « l’uniformité » des genre de vie . Lorsque la société n’existe pas, lorsque les lois n’existent pas, ni les différents « ordres » de la société,  qu’il n’y a pas d’agriculture : « tous se nourrissent des mêmes aliments »,  on cherche simplement à survivre et chacun se « débrouille », sans qu’à aucun moment, on ne puisse relâcher sa vigilance. En vérité, il y a peut-être des différences mais elles sont minimes car elles ne sont « que d’homme à homme », autrement dit, à chaque instant, elles peuvent se retourner, elles ne sont pas instituées, c’est-à-dire, artificielles et surtout héréditaires !  Paradoxalement, le passage de l’Etat de nature à l’Etat civil va instaurer un nouvel ordre, car l’instauration d’un pouvoir, du droit et de la propriété vont permettre aux différences naturelles minimes et toujours provisoires, car individuelles de devenir des différences extrêmes et définitives dépendantes de la classe sociale à laquelle on appartient .

L’instauration de ces différences change radicalement leur essence aux yeux de ROUSSEAU, car elles ne sont plus seulement des différences  mais des inégalités . Or ce qui distingue le concept de différence du concept d’inégalité c’est que le premier relève du fait  tandis que le second relève du droit . Qui plus est,  le second prétend non seulement expliquer mais et surtout se justifier par les premier : si les uns jouissent de privilèges sociaux c’est parce  qu’ils sont fondés sur des différences naturelles ! Il est juste que les meilleurs occupent les meilleures places, cela est conforme à l’ordre naturel . Mais l’explication de ROUSSEAU détruit cette explication et cette  justification : Il n’y a pas d’autre cause aux inégalités sociales que les inégalités sociales .Cette situation est d’autant plus injuste que la société ne se contente pas d’accroître des différences  qui préexisteraient dans la nature, une telle thèse  serait  banale et nous ferait retomber dans le préjugé dénoncé plus haut, ROUSSEAU affirme, non seulement  qu'elle les augmente ,  mais  qu’elle les produit ! Et quand la société produit des différences ce ne sont plus des différences mais des inégalités qui, par essence, sont « d’institution », c’est-à-dire artificielles, non fondées en nature .

Dès lors, nous sommes en mesure de comprendre la dernière phrase paradoxale du texte . Si la société institue les différences en inégalités, elle peut « accroître » par l’inégalité d’institution, l’inégalité naturelle ! Quand vous naissez dans une société déjà constituée et hiérarchisée, votre privilège peut bien vous  sembler naturel précisément parce qu’il est objectivement voire juridiquement héréditaire ! La société opère ce tour de force de faire passer pour naturel ce qui n’est que social ou culturel en inventant le concept aberrant d’hérédité instituée alors qu’il ne s’agit que d’héritage ! En fin de compte, ROUSSEAU dénonce  l’ordre social et montre comment il s’est forgé  . Il est  dénoncé comme un ordre qui dénature l’égalité naturelle entre les hommes : il est infondé et donc injuste !

 

 

CONCLUSION :

Ce texte renvoie au problème de l’origine des inégalités : sont –elles naturelles et innées ou culturelles et sociales ? Force est de constater que malgré la démonstration magistrale de ROUSSEAU qui opère une révolution analogue à celle de COPERNIC,  certains courants scientifiques semblent confirmer la thèse du caractère héréditaire de nos comportements, en invoquant la notion d’aptitude. Il existe une vision biologisante qui tend à s’accroître avec le progrès de la science et de la génétique.

Mais à la limite, en admettant que les individus aient des aptitudes différentes,  qu’il y ait des différences naturelles, tout l’enjeu est d’empêcher non pas  l’éclosion et l’épanouissement de ces différences qui peuvent être autant de talents utiles à tous mais d’interdire que ces différences individuelles ne  deviennent des inégalités sociales héréditaires, prétendument naturelles . C’est sans doute à ce prix qu’une société peut-être juste  mais cela exige en général, une Révolution .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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6 mars 2013 3 06 /03 /mars /2013 15:58

 

La pensée est –elle prisonnière de la langue que nous parlons ?

 

 

Brueghel-tower-of-babel BRUEGHEL , la tour de BABEL , XVI éme siècle  ( cf épisode raconté dans le récit de la Genèse après le Déluge )

 

  RQ :La difficulté de ce sujet, malgré son aspect classique, réside dans sa fin un peu lourde . Le sujet n'est pas : La pensée est-elle prisonnière de la langue ? Le sujet est:  la pensée est-elle prisonnière de la langue que nous parlons ? Il y a un tiroir secret qui impose  la connaissance et la distinction des notions langage,  langue, parole . Cette lecture est importante car on pourra admettre que si nous sommes prisonniers de la langue, nous ne serons pas forcément prisonniers de la langue que nous parlons !

 

 

Rien n’est plus banal que de se lamenter de l’étroitesse de langage eu égard au caractère illimité ou prétendu tel, de notre pensée . Ainsi on peut se demander si la pensée n’est pas prisonnière de la langue que nous parlons.

Affirmer une telle assertion cependant ,n’est-ce pas présupposer que la pensée précède et existe indépendamment des mots : la pensée serait-elle plus libre en se passant des mots ?

 Si la pensée ne précède pas les mots que nous utilisons mais qu’elle est au contraire formée par eux , cette formation n’est-elle pas effectivement une déformation ou plus exactement , une limitation ?

Plus précisément , si l’on constate que le langage s’inscrit toujours dans une langue particulière , n’y a-t-il pas un risque pour que cette langue ne dise que ce qu’elle peut dire dans sa langue. Autrement dit,  la pensée, qui est notre  faculté la plus haute dont l’objectif est l’universalité ne risque –t-elle pas de se perdre dans les idiotismes de chaque langue particulière ?

Conséquemment , si chaque langue nous enferme dans son univers et ne nous offre qu’une « vision du monde » pouvons nous encore espérer dire quelque chose du réel ? Ne sommes nous pas condamnés à être enfermés dans l’univers des mots , c’est –à –dire des signes ?

Les langues sont –elles à ce point hétérogènes et closes sur elles mêmes ,  qu’aucune traduction ne soit possible  qu’aucun dialogue ne soit envisageable et qu’en fin de compte tout soit déjà dit ?

Doit-on identifier la langue et la langue que nous parlons ? Si la langue est un objet d’étude , cet objet existe-t-il en dehors de ceux qui la parlent ? Or quand le philosophe parle , quand le romancier écrit, quand le poète chante , et quand  les  linguistes traduisent, les premiers  ne parviennent-ils pas à dire quelque chose d’inédit  et les seconds  à  révèler un monde    à partager ? Bref , la langue que nous parlons est-elle un système clos que nous utilisons entre locuteurs d’une même culture ou est-elle l’instrument capable de faire résonner la pensée   c’est-à-dire de la faire entendre au delà des frontières de la langue ?

 

 

 

 

 

1 la thèse commune : l’ antériorité de la pensée 

 

            1.1  universalité de la pensée


On se représente volontiers la pensée comme une faculté propre  à l’homme , la plus haute qu’il ait et qui précède son expression , extériorisation par des mots

On dit qu’on cherche ses mots faisant entendre par là que la pensée sélectionne celui  qui nous semble adéquat et Boileau nous rappelle que «  ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément . » Autrement dit, tous nous vivons dans l’idée que la conception précède l’énonciation , et que de facto ce qui est mal conçu par l’esprit ne peut trouver sa forme linguistique. Aristote  considère que les sons émis par la voix sont les symboles des états de l’âme et que si les sont émis par la voix sont différents d’une langue à l’autre , les états de l’âme( les images mentales qu'elles suscitent)  sont les mêmes,  ainsi que les choses visées par ces images. En somme, le langage ou plutôt «  les sons émis »  ne sont q’un instrument  au service de la pensée qui ne lui est attachée qu’accidentellement.

 

texte n°1

 

Les sons émis par la voix sont les symboles des états de l'âme, et les mots écrits les symboles des mots émis par la voix. Et de même que l'écriture n'est pas la même chez tous les hommes, les mots parlés ne sont pas non plus les mêmes, bien que les états de l'âme dont ces expressions sont les signes immédiats soient identiques chez tous, comme sont identiques aussi  les choses dont ces états sont les images.      ARISTOTE 

 

 

                                   

 1-2  transcendance de la pensée

 

La pensée  véritable est intuition tandis que le langage procède par abstraction et généralisation

 

Texte N° 2

Chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. Nous jugeons du talent d’un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité. Mais de même qu’on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d’un mobile sans jamais combler l’espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage.

 

Henri BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience.

 

L’affirmation selon laquelle l’homme pense puis parle , utilise des signes qui re-présentent la pensée contient forcément, comme en politique, un risque d’échec . Ces signes qui re-présent l’invisible , sont –ils ses fidèles lieutenants ou ne risquent-ils pas de la trahir en s’en détachant ?  Bergson  affirme que la pensée est sans commune mesure avec le langage .

Les étapes du texte sont celles-ci :

 

1 En quoi réside l’opposition du langage et de la pensée ? « Chacun de nous » (…) « qui agitent l’âme. »

 

Ce qui caractérise la pensée et ici le sentiment,  c’est son caractère singulier : « Chacun de nous »  . Aimer et haïr ne sont pas des sentiments « neutres »,  si tant est qu’il puisse y en avoir ,  mais au contraire des manières d’être qui « reflètent notre personnalité toute entière » .  Nous les éprouvons au plus profond  de notre être, ils ne s’adressent pas non plus à n’importe qui . La pensée la plus intime , celle qui caractérise nos affects ne ressemble à aucune autre . Quelles sont les conséquences d’une telle remarque ?

Ces pensées sont marquées du sceau de l’intériorité , de la subjectivité , elles ne peuvent par conséquent pas être re-présentées sans être dénaturées . Le langage « désigne »,  en effet, il symbolise la pensée . A la fois , il fait signe vers elle mais il risque aussi de se substituer à elle .Et c’est bien ce qui arrive : par nature les mots sont communs puisqu’ils sont issus d’une double mouvement  d’abstraction et de généralisation. Le langage abstrait, sépare ce qui est unit dans le réel, il dégage le multiple dans l’un et généralise . Quand je dis que cette rose est rouge , j’ai séparé ce qui se présente « d’un seul coup » à ma perception : « rose-rouge » ou « rouge-rose » pour détacher le rouge de la rose et ainsi être en mesure d’appréhender le rouge comme une entité séparable ou de concevoir l’idée de rose sans qu’elle soit colorée !

La généralisation , quant à elle permet de voir l’un dans le multiple : à l’inverse de l’abstraction qui sépare, le généralisation réunit mais dans l'abstraction .Tel est le pouvoir de l’abstraction et de la généralisation qui aux yeux de BERGSON , n’est pas le pouvoir de l’intelligence mais le pouvoir de l’entendement rivé aux besoins de l’action .

Mais les effets d’un tel processus est que le langage ne peut « dire » les sentiments vécus, les pensées  sans ipso facto les dénaturer, en l’occurrence les rendre « communs »,  généraux voire vulgaires . Dans tous les cas , les mots sont incapables du fait de leur délimination constitutive, d’exprimer « les 1000 sentiments » , c’est-à-dire la variété infinie qui « agitent l’âme »elle qui ne connaît le repos qu’avec sa propre disparition ! Comment un « je t’aime » avec un sujet, un verbe,  un complément tous bien dé-finis  pourraient-ils traduire ce qui fait l’intérieur de mon être , toujours « agité », c’est-à-dire  en mouvement ? Comment ce qui est fixe pourrait-il être l'image du mouvement ?

 

2 Peut-on espérer surmonter cette opposition ? 


« Nous jugeons (…) individualité »

Mais il peut y avoir parfois des « miracles ». Certains êtres, tels MALLARME,  sont capables de « redonner un sens plus nobles aux mots de la tribus » . Le poète, l’écrivain sont capables d’ « utiliser » le langage au service de l’âme . Ils ne se passent pas du langage mais le détournent de son objectif purement instrumental et parviennent à dépasser la simplification qui lui est inhérente . Comment font-ils ? BERGSON ne nous donne évidemment pas de recettes mais ces artistes restituent , par les mots, la complexité du vécu, sa richesse grâce au « détails »  . Par définition, et ce n’est pas sans paradoxe, un détail est ce qui permet de rendre plus « vivant » un récit, un tableau . On ne définit pas un détail, on le décrit . L’incapacité à donner des détails prouve souvent l’inauthenticité d’un témoignage .

C’est pourquoi, en juxtaposant des détails, on peut tâcher de restituer ces « 1000 sentiments ».

Par l’addition et l’accumulation de détails , on pourra ressusciter la multiplicité concrète et complexes de nos pensées les plus intimes . C’est aussi cela que l’on appelle le style, cette capacité à s’approprier ce qui est pourtant commun .

 

3 Pourquoi cette opposition est –elle irréductible ?

« Mais (…) avec le langage . »

 

Ce miracle n’est pourtant que l’exception qui confirme la règle . L’artiste peut seulement s’approcher de façon asymptotique . Si subtil soit-il, il ne peut changer la nature simplificatrice du langage .  BERGSON utilise ici une analogie . La pensée est au langage ce que  les points (fixes) de l’espace sont au mouvement . On ne pourra jamais penser le mouvement à partir seulement de l’espace parcouru parce qu’on ne peut pas penser le temps à partir de l’espace. On ne peut pas ramener le temps, du continu,  à une quantité discrète, discontinue .Bref, on ne peut pas faire comme si l’eau , c’était du sable ! Or diviser le temps en unité séparée, c’est certes commode mais c’est le spatialiser, le diviser, par conséquent le dissoudre .  Le langage absorbe la pensée comme le sable boit l’eau !

La pensée est bien sans commune mesure avec le langage .

Dès lors, on comprend que l’artiste se heurte, malgré ses efforts, à l’impuissance des mots qui peuvent bien mettre les uns à côtés des autres, des détails et par là faire pittoresque ou « vrai » . Mais  tout se passe au fond comme si le détail n’était pas capable de donner la nuance, qui seule serait la marque d'un esprit de "synthèse" . On parle du luxe de détails,de la subtilité de la nuance ou de sa finesse . Le détail relèverait encore de « l’esprit de géométrie » !

 

L’antériorité de la pensée sur le langage est incontestable aux yeux de BERGSON et il serait bien vain de vouloir l’atteindre . Si nous avons conscience de cet échec, nous pouvons nous consoler grâce aux écrivains . Mais les mots sont leur matière et celle-ci reste à jamais éloignée de l’intimité de l’âme . Toute la question serait de savoir si une autre « matière » pourrait être plus adéquate en pensant un art qui restituât la pensée-même, qui fût plus art de la nuance qu'art du détail .

 

T° Si la pensée précède les mots et que dès lors les mots la symbolisent alors il faut bien admettre que cette nécessité risque bien d’être un échec . La pensée en se manifestant dans des mots se fige  et en devient prisonnière . Le rêve le plus fou serait alors de se passer du langage , de supprimer les barreaux des fenêtres . Mais une telle position est-elle tenable ? Affirmer l’existence de l’indicible , n’est-ce pas contradictoire ?

 

 

 

2 Le primat du langage 

 

            2-1 « C’est dans  les mots que nous pensons . » HEGEL

 

 

texte n°3

C'est dans les mots que nous pensons. Nous n'avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par suite nous les marquons d'une forme externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractère de l'activité interne la plus haute. C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut, c'est l'ineffable. Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement ; car, en réalité, l'ineffable, c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie.     HEGEL

 

 

 

« C’est dans les mots que nous pensons » par cette thèse , Hegel pose que le mot n’est pas  un simple médiateur de la pensée ( il faut toujours insister sur le "dans" qui n'est pas "par") mais la forme sans laquelle le fond n’est pas : si l’homme est un être conscient et que la prise de  conscience de soi ne peut s’éffectuer que par  l’opposition de soi à soi  , dans l’acte d’un sujet qui dit « je » et qui par là se pense,  les pensées en tant qu’elles sont conscientes ne peuvent pas s’affranchir de cette nécessité de s’objectiver dans les mots, mais c’est grâce à eux que la pensée serait  en mesure de s’approfondir , la surface devenant nécessaire à la profondeur : on dit que la pensée cherche ses mots , soit, mais c’est parce qu’en cherchant ses mots la pensée se trouverait elle même.

 

 

 Toutefois, si on tient pour acquis ce lien consubstantiel entre pensée et langage ou plutôt entre pensée et mots , ne devons –nous pas en  accepter toutes les conséquences ? L’affirmation du primat de la forme sur le fond ne risque-t-elle pas l’affirmation du primat du signe sur le sens ?

Si « c’est dans les mots que nous pensons » , ne faut –il pas admettre que c’est aussi dans une langue particulière dès lors l’ ambition  de la pensée d’atteindre l’universel n’est -elles pas  qu’une prétention bornée  par les idiotismes inhérents à chaque langue :syntaxe , phonème , lexique ?

D’autre part , si nous prenons au sens littéral cette expression , ne nous faut-il pas renoncer à sortir des mots pour viser le réel ? les mots ne sont-ils pas alors notre seul univers ?…

Si  le langage s’actualise dans une langue particulière et que nous pensons  non au travers mais dans les mots , il faut dire alors que les mots pensent pour nous et qu’au demeurant nous ne pensons plus . Penser, c’est penser par soi –même sûrement pas par quoi que ce soit d’autre ni les autres ni la langue qui serait transcendante par rapport à l’utilisation que chacun en ferait. Si c’est dans les mots qu’on pense , ne restons-nous pas enfermés dans les mots , dans les signes ?

 

 

 

                        2.2 l’approche structurale : " la langue est un système de signes "F.de Saussure

 

  La linguistique est l’étude de la langue , et la langue ne réside pas ailleurs que dans les mots , la syntaxe , les phonèmes , bref dans ce qui est objectif par conséquent observable  en un mot , dans les signes .

   Le signe peut être naturel ou conventionnel , on dira par exemple que la fumée est le signe du feu, il s’agit ici d’une trace ou d’un effet mais si l’on parle de signe linguistique on sous entend que le signe est signe de quelque chose dont il est le signe , il est mis là pour ou à la place de ce à quoi il renvoie, dans le cas de la fumée le feu est la cause de la fumée, mais le signe f-e-u  fait signe c’est-à-dire qu’il a une signification , un sens qui est le feu.

Le signe n’est rien sans sa  signification , sans doute , mais dans le cas de la langue ,  la signification n’existe pas en dehors de son signe !  Une  langue est «  un système de signes  »,

  le mot est en fait  composé d’un signifiant et d’un signifié , or le signifié n’est pas la chose visée en dehors des mots mais le concept ou image acoustique que l’on ne peut séparer du signifiant ; si les signifiants sont conventionnels (ils varient d’une langue à l’autre) ,  il n’en demeure pas moins que pour celui qui parle français la relation est naturelle et évidente , la suite de son fro-ma-ge c’est le fromage !

 

texte n°4

D’après Bertrand RUSSEL, «  personne ne peut comprendre le mot fromage s’il n’a pas d’abord une expérience non linguistique du fromage ». Si, cependant, nous vivons le précepte fondamental du même RUSSEL, et mettons « l’accent sur les aspects linguistiques des problèmes philosophiques traditionnels », alors nous sommes obligés de dire que personne ne peut personne ne peut comprendre le mot fromage s’il ne connaît pas le sens assigné à ce mot dans le code lexical du français. Tout représentant d’une culture culinaire ignorant le fromage comprendra le mot français fromage s’il sait que dans cette langue ce mot signifie « aliment obtenu par la fermentation du lait caillé » et s’il a au moins une connaissance linguistique de « fermentation » et « lait caillé ». Nous n’avons jamais bu d’ambroisie ni de nectar et n’avons qu’une expérience linguistique des mots ambroisie, nectar, et dieux--- noms des êtres mythiques qui en usaient ; néanmoins nous comprenons ces mots et savons dans quels contextes chacun d’eux peut s’employer.

            Le sens des mots français fromage, pomme, nectar, connaissance, mais, seulement, ou de n’importe quels autres mots ou groupes de mots et décidément un fait linguistique--- disons, pour être plus précis et moins étroits, un fait sémiotique. Contre ceux qui assignent le sens (le signifié) non au signe, mais à la chose elle-même, le meilleur argument, et le plus simple, serait de dire que personne n’a jamais goûté ni humé le sens de fromage ou de pomme il n’y a pas de signifié sans signe. On ne peut inférer le sens du mot fromage d’une connaissance non linguistique du roquefort ou du camembert sans l’assistance du code verbale il est nécessaire de recourir à toute une série de signes linguistiques si l’on veut faire comprendre un mot nouveau. Le simple fait de montrer du doigt l’objet que le mot désigne ne nous apprendras pas si fromage est le nom du spécimen donné ou de n’importe quelle boîte de camembert, du camembert en général ou de n’importe quel fromage, de n’importe quel produit lacté, nourriture ou rafraîchissement, ou peut être de n’importe quelles boîtes, indépendamment de son contenu. Finalement, le mot désigne-t-il simplement la chose en question, ou implique-t-il l’idée de vente, d’offre, de prohibition ou de malédiction ? (Montrer du doigt peut effectivement avoir le sens d’une malédiction : dans certaines cultures particulièrement en Afrique, c’est un geste de mauvais augure).

Roman JACOBSON essai de linguistique général, édition de Minuit 1969, p.78,79

 

 

 

 Cela signifie que nous ne pouvons quitter les mots et qu' il n’y a rien en dehors d’eux . Croire que les mots pourraient viser une réalité extra linguistique est faire preuve de naïveté    c’est celle qui consiste à croire que les signifiés existent indépendamment des signifiants , or « il n’y a pas de signifiant sans signe »  , cela veut dire qu’il n’y a pas de réalité transcendante aux signes , si nous voulons expliquer le sens du mot fromage il nous faudra recourir à d’autres signes ( cf texte de Jakobson )

  Le structuralisme considère ,en effet que dans une langue il n’y a  que des différences cela veut dire qu’il n’y a pas de référence extralinguistique , ainsi la langue se referme sur la pensée qui n’a plus pour ambition que de maîtriser les signes : la sémiologie contient la sémantique de ce fait on peut en faire la science car le signe a une existence objective et  se trouve dans les dictionnaires …  le dictionnaire, en effet,  contient des définitions qui se referment les une sur les autres . Chacun a fait l’expérience un peu pénible de ces définitions circulaires et purement nominales , c’est-à-dire qui nous donne effectivement la définition du mot par d’autres mots qui eux mêmes seront définis par ceux dont on cherche la définition !

 

 

 une telle position est –elle recevable ? S’il est bien évident que l’on ne peut penser sans les mots , peut-on réduire la langue à l’usage que nous en faisons ? Peut-on réduire la langue que nous parlons à la langue ? Peut-on réduire la parole à la langue ?

 Peut –on véritablement considérer le langage uniquement dans sa forme  objective , c’est-à-dire dans les signes ?

 Dire  que l’homme est dans le langage cela veut-il dire qu’il est dans la langue , c’est -à -dire dans des signes qu’il ne ferait qu’échanger comme il «  échange des femmes et des biens »  cf Levi-Strauss , n’est-ce pas aussi constater qu’il les utilise en parlant ?

Le rapport entre la langue et l’usage que nous en faisons est –il un rapport  univoque ? la parole un phénomène individuel et accessoire face à la langue qui serait sociale et essentielle ?

 

 

 

 3    Ce que parler veut  dire : 

 

                        3.1 le pronom personnel « je » : Le langage fait émerger la subjectivité

 

Si parler était combiner des signes , il y a longtemps que toutes les combinaisons auraient été utilisées et que nous n’aurions plus rien à dire , d’ailleurs  à quelqu’un qui demanderait ce  que parler veut dire , nous serions contraints d’avouer : à  « rien »  car dire c’est viser quelque chose  en dehors des mots ou des signes , c’est-à-dire du sens  , or il n’y a de sens que pour une conscience .

La réduction du langage à la langue implique évidemment la négation du sujet parlant mais par là même une cécité vis à vis  de ce qui nous constitue comme homme , c’est-à-dire comme sujet. Or cette capacité à se poser comme sujet  n’est pas un vague sentiment que chacun éprouve d’être lui même mais  « l’unité psychique qui transcende la totalité des expériences vécues »   cf  Benveniste. Cette unité est liée à «  une propriété fondamentale du langage . est ego qui dit ego » .Kant avait déjà compris l’importance de cet événement chez l’enfant quand il commence à dire « je » « auparavant il ne faisait que se sentir maintenant il se pense ».

Le structuralisme aurait « oublié »( ?) le pronom personnel qui n’est pas un signe comme les autres « parce qu’il inclut avec les signes ceux qui en font usage ».

 « Ce signe est lié à l’exercice du langage et déclare le locuteur comme tel. C’est cette propriété qui fonde le discours individuel, où chaque locuteur assume pour son compte le langage tout entier » Benveniste

 

 

 

                        3.2   "La parole comme discours" : RICOEUR 

 

  « Il faut donc équilibrer l’axiome de la clôture de l’univers des signes par une attention à la fonction prime du langage qui est de dire. Par contraste à la clôture de l’univers des signes, cette fonction constitue son ouverture ou son aperture.(…) Parler, c’est l’acte par lequel le locuteur surmonte la clôture de l’univers des signes dans l’intention de dire quelque chose sur quelque chose à quelqu’un ; parler est l’acte par lequel le langage se dépasse comme signe vers sa référence et vers son vis à vis. Le langage veut disparaître ; il veut mourir comme objet. » RICOEUR , le conflits des interprétations

 

 C’est parce que l’homme parle qu’il ne prononce pas des mots , ni ne se contente de les  échanger _ d’ailleurs quand on en est  à « échanger des mots » , la sagesse populaire sait bien  qu’on est sur le point d’échanger des coups ! _ mais  fait des phrases ! Ricoeur , dans le conflit des interprétations précise que « le mot c’est beaucoup plus et beaucoup moins que la phrase » voulant dire par là que le mot ne précède pas la phrase ,avant la phrase  , il n’y a que des signes , et dans le dictionnaire des définitions nominales qui tournent en rond   car chaque définition  renvoie à d’autres mots dont on cherche le sens avec les premiers…

 

« Dans le dictionnaire , il y a simplement la ronde sans fin de termes qui se définissent en cercle, qui tournoient dans la clôture du lexique. Mais,  voici : quelqu’un parle, quelqu’un dit quelque chose ; le mot sort du dictionnaire ; il devient mot au moment où l’homme devient parole, où la parole devient discours et le discours phrase. »

 

Il y a donc non pas système mais vie du langage grâce à la parole , la polysémie, la métaphore ( dans la métaphore le signifié  devient  un signifiant ,c’est bien l’exemple même d’une créativité du sujet parlant qui dépasse la langue et le signes , c’est sans doute pour cela  est inexplicable si l’on réduit  le langage à la langue, il faut donc non pas substituer la sémantique à la sémiologie mais au moins compléter la seconde par la première car la sémantique est la science de l’emploi des signes en position de phrases, ce qui est toute autre chose que la sémiologie qui est la sciences des signes dans les systèmes .

 

 

 

 

Conclusion :

 

 

 Nul ne peut s’affranchir du langage  « vouloir penser sans les mots est un tentative insensée »

A ce constat s’ajoute le fait , il est vrai,  que   le  langage  s ‘actualise toujours dans une langue particulière , cette évidence de la diversité des langues et que la Bible symbolise dans la tour de Babel est à l’origine de toutes les incompréhensions , chaque langue a sa « vision du monde ». Toutefois chacun peut s’affranchir de l’idiotie de sa culture et de sa langue  « en se frottant et se limant la cervelle à celle d’autrui » comme Montaigne le préconisait , et d’abord en apprenant la langue de l’étranger.  Ce n’est pas un hasard si la formation d’un esprit cultivé passe par  l’apprentissage des langues .  Cela présuppose également que la langue n’est pas qu’un système de signes dans lequel la pensée serait figée ou morte , ce qui revient au même , mais qu’elle s’actualise dans la parole ou dans les œuvres les plus hautes de  l’esprit humain  qui sont avant tout des paroles : la  poésie , la science quand elle s’interroge sur elle même et  la philosophie mais aussi, plus modestement,  quand on la donne .

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 11:13

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  (Le radeau de la Méduse de T.GERICAULT 1791-1824 )

 

Assurément,  nous ne sommes pas les auteurs de la nature bien que nous tâchions depuis DESCARTES de nous en rendre « comme maîtres » . Ne serions –nous pas, face à l’histoire,  dans une situation totalement différente ? Ne sommes-nous pas  des êtres historiques beaucoup plus encore que des êtres naturels et ce domaine ne serait-il pas celui, vraiment effectif  et non analogique,  de notre maîtrise ? Seuls les hommes ont une histoire disons-nous,   car seuls nous avons conscience du temps, seuls  nous nous représentons le passé et sommes capables de nous pro-jeter dans l’avenir .Mais  si nous sommes les seuls à avoir une histoire pouvons-nous dire que nous la faisons ?

Il s’agit de savoir si la multitude des hommes qui se sont succédé et ceux qui ne sont pas encore nés « font » et "feront" l’histoire , c’est-à-dire s’ils sont ( ou seront ) les auteurs et les acteurs de la réalité humaine en devenir ? A priori , si les hommes ont une histoire , s’il arrive des évènements contingents dans le temps , c’est parce que les hommes sont capables d’agir, qu’ils sont capables de modifier l’avenir . D’un autre côté, "l’homme n’est pas un empire dans un empire », la conscience que nous avons de notre liberté ne serait-elle pas une illusion qu’un regard rétrospectif  dissiperait ? Ce que nous croyons être le produit d’une décision raisonnable n’apparaît-il pas, après coup,  être subordonné à des lois sociales ou économiques, voire psychologiques,  impérieuses ? Bref, ne serions-nous pas le jouet d’un déterminisme ou même d’un destin sur lequel nous n’avons pas de prise ?

Le problème concerne le rôle des hommes dans l’histoire : sont-ils les acteurs ou les agents inconscients d’un destin qui les dépasse ?

L’enjeu est immense : si on considère que les hommes font l’histoire , alors ils sont maîtres de leur destin mais risquent toujours de vouloir régenter le futur avant qu’il ne soit né . Si on considère que les hommes sont passifs , alors ils peuvent vaquer à leurs occupations personnelles mais risquent de  désespérer de l’action et notamment de l’action politique qui  cherche à penser un avenir collectif . Il s’agirait de savoir si nous pouvons agir en vue d’un avenir meilleur en assumant la contingence de notre  condition et de nos actions .

 

 

1 La thèse volontariste : 5057716833_a0d9092093.jpg

La liberté guidant le Peuple .E.DELACROIX 1798-1863  

 

                         1.1 On distingue deux sens au mot histoire. Le premier signifie enquête et même science du passé  tandis que le second désigne le passé tel qu’il s’est passé mais aussi de façon plus générale la réalité humaine en devenir non seulement passée mais aussi présente et future . On peut l’appeler l’histoire -réalité face à l’histoire -savoir ou l'histoire -connaissance . Cette confusion est bien révélatrice dit R.ARON du fait que nous ne connaissons la réalité du  passé que par la représentation qui nous en est faite et que les premiers à  en avoir conscience  sont bien les historiens eux-mêmes , qui ont pris conscience aussi de la dimension originale et spécifiquement humaine de l'action .

 

 HERODOTE, le premier des historiens est bien convaincu que ce sont les hommes qui font l’histoire . C’est même parce qu’ils font quelque chose qu’il y a histoire , c’est-à-dire que quelque chose de nouveau arrive dans un ordre immuable . « Il nous dit que le but de son entreprise est de sauvegarder ce qui doit son existence aux hommes, en lui évitant de s’effacer avec le temps, et de célébrer les actions glorieuses et prodigieuses des Grecs et des Barbares d’une manière qui suffise à assurer leur souvenir pour la postérité et, de la sorte , à faire briller leur gloire à travers les siècles . » H.ARENDT    .  L’invention de l’histoire comme science est liée à la prise de conscience de l’histoire comme réalité en devenir propre aux hommes .

L’historien grec nous révèle   à la fois la puissance des hommes capables d’actions dans le monde mais aussi la fragilité de ces dernières si aucune mémoire ne vient les immortaliser . Rien n’est plus fugace que les actions des hommes au regard que nous offre le spectacle de l’ordre immuable de la nature . Mais rien n’est plus prodigieux que ces actions des  Grecs et des Barbares, qui ,  grâce à l’historien , demeurent comme les astres célestes ,  à jamais dans la mémoire des hommes.

 

                        1.2 Autrement dit , si les hommes ont une histoire c’est parce qu’ils la font  . Etant des êtres conscients, ils ont contrairement aux animaux un pouvoir  de "faire" , c'est-à-dire un pouvoir d’action qui présuppose la liberté . Agir en effet , ce n’est pas ré-agir seulement par instinct ou par réflexe mais au contraire être capable de tout inventer . C’est parce que les hommes ne possèdent pas de savoir- faire inné qu’ils sont capable de dépasser tout donné . Non seulement les hommes sont capables de dépasser tout donné mais ils aspirent à le faire car la réalité est insatisfaisante .Or cette insatisfaction peut prendre la forme d’un souhait pieux mais peut aussi prendre la forme de l’action volontaire concrète . Une action volontaire est donc une action orientée vers une fin qu’on se représente .  Elle implique le refus de ce qui  est donné et son dépassement dans une réalité qui apparaît souhaitable .

Traditionnellement on distingue  quatre moments  dans l’action :

 la conception, ou l’idée de l’acte

  la délibération, peser le pour et le contre , examen des moyens ( deliberare dérive de libra qui désigne l’unité de poids, la livre,),  « Boulè » signifie volonté en même temps qu’assemblée délibérante en grec .

  la décision , c’est le moment où l’on tranche , la décision suppose un engagement définitif subjectivement  mais subjectivement seulement, encore faut-il passer à l’acte, sinon un changement reste toujours possible .

  l’exécution .   c’est le moment de l’engagement définitif d’un point de vue objectif qui empêche un changement . Une fois que j’ai signé tel ou tel contrat , je ne pourrai plus me dégager facilement . ( on le voit certains prennent des décisions en grands nombres mais hésitent à passer à l’exécution …)

 

                        1.3  La conscience même de notre historicité et de notre liberté ne débouchent-t-elles pas sur la légitimité d’une action qui bouleverse radicalement l’ordre donné ?  La révolution n’est-elle pas ce qui constitue l’action même non plus à l’échelle individuelle mais à l’échelle des peuples ?

 L’idée de révolution historique   se  pense analogiquement sur l’idée de  la révolution astrale , dans l’un et l’autre cas commence une nouvelle ère ,  un nouvel ordre  que sanctionnera d’ailleurs un nouveau calendrier . On assistera à la vraie histoire de l’humanité qui sera aussi celle de la fin de la première histoire .

Ainsi ,  ce sont bien les hommes qui font l’histoire , ceux qui l’écrivent ,au sens strict, et  ceux qui la font , car  les historiens rapportent ce qu’ont fait les hommes comme auteurs et acteurs conscients de leur existence  , les actes héroïques de ceux qui refusent la fatalité .

 

  La thèse volontariste est  conforme à l’idée que nous nous faisons des hommes  , êtres conscients et agissants ,  mais n’est –elle pas un peu naïve et surtout très dangereuse ?

Certes , il nous faut ici distinguer soigneusement entre l’historien qui raconte le passé des Grecs et des Barbares  et le philosophe qui médite sur le pouvoir de l’homme de modifier l’a-venir au nom de ce qui devrait advenir. C’est non dans l’analyse historique mais dans la prospective inhérente à  l’action politique guidée par la réflexion que se trouve le danger que l’on vient de  signaler .

Prétendre qu’une volonté ou quelques volontés si puissantes soient-elles suffisent à modifier l’avenir c’est ignorer tout ce qui nous conditionne et tout ce qui peut faire échec à la volonté , tout simplement, d’ailleurs,  parce que nous n’en avons pas conscience .

Mais c’est surtout  dangereux car porteur de violence . La Terreur est inhérente à la pensée révolutionnaire car dans sa volonté d’accélérer l’avènement d’un monde nouveau, elle est tentée d’abolir le plus vite ce qui est au nom de ce qui devrait être . Prétendre juger le présent en fonction d'un savoir du futur  c’est forcément permettre à  la guillotine, aux  goulags,  mais aussi bien aux  nouvelles( !)  guerres saintes ,aux  luttes du bien contre l’axe du mal  de fonctionner à plein régime  .

Dans tous les cas,  un tribunal révolutionnaire c’est un tribunal qui prétend détenir la science d’un futur qui ne s’est pas encore accompli . La violence, « cette  grande accoucheuse de l’histoire » (MARX) est alors bien aidée  par les tricoteuses !

Ne serait-il pas plus juste d’admettre et par lucidité et par conscience du danger que nous ne sommes pas maîtres de notre destin ? Pour échapper à une conception volontariste porteuse d’illusions et de violence , n’est-il pas plus rationnel de  considérer que les hommes ne font pas l’histoire mais que ce serait plutôt elle qui les « ferait » , que loin d’être les acteurs  de révolutions , nous serions le produit d'une ( lente)  évolution ?

 

 

2  La conception déterministe :

 

                        2.1 La thèse volontariste mise à mal par tous les moralistes et les psychologues n’est-elle pas à plus forte raison caduque en ce qui concerne l’action des hommes à l’échelle collective ? Entre ceux qui décident et ceux qui exécutent , il y a tant  de médiations , tant  d’aléas !

 

                        a) pour l’historien :  la critique de l’histoire militaro –politique :

 L’action des hommes même des grands est toujours prise dans un réseau serré de facteurs multiples . De surcroît, il n’est pas sûr que ce soit l’action des hommes qui meuve l’histoire mais tout aussi bien le contexte géographique ou économique face auquel, l’action en général et l’action politique en particulier apparaissent comme l’écume superficielle peu susceptible d’éclairer la véritable causalité historique .

L’essor de la Grèce n’est-elle pas d’abord liée à sa situation géographique qui favorise le commerce et les échanges aussi bien économiques qu’intellectuels ? 

C’est F.BRAUDEL qui nous le dit au terme de ce  qu’il a appelé une révolution copernicienne

 « La Méditerranée et le monde méditérranéen à l’époque de Philippe II » fut, en 1947,  le titre de sa thèse qui en lui même révolutionna du fait de l’inversion des sujets la conception que l’on avait de l’histoire .il inventa en outre une nouvelle approche de la temporalité historique . l’histoire presque immobile, (le temps géographique) l’histoire lentement agitée (le temps social) et l’histoire évènementielle : le temps individuel et l’agitation de surface .

 

                        b )pour  le philosophe : L’action est chose fugace et périssable ,et sans le souvenir dont parlait HERODOTE,  elle ne dure pas plus longtemps que l’activité elle-même, elle ne peut pas prétendre à cette permanence que possèdent de simples objets  .

 

«  L’action humaine , projetée dans un tissu de relations où se trouvent poursuivies des fins multiples et opposées, n’accomplit presque jamais son intention originelle ; aucun acte ne peut jamais être reconnu par son auteur comme le sien avec la même certitude heureuse qu’une oeuvre de n’importe quelle espèce par son auteur .Quiconque commence à agir doit savoir qu’il a déclenché quelque chose dont il ne peut jamais prédire la fin, ne serait-ce que parce que son action a déjà changé quelque chose et l’a rendue encore plus imprévisible . C’est cela que KANT  avait en tête quand il parlait de « contingence désolante » qui est si frappante dans le cours de l’histoire politique .. L’ action : on ne connaît pas son origine, on ne connaît pas ses conséquences :_par conséquent, est-ce que l’action possède aucune valeur ? » Les vieux philosophes n’avaient-ils pas raison , et n’était-ce pas folie d’espérer voir surgir aucun sens du domaine des affaires humaines ? » H.ARENDT (le concept d’histoire ).

                          

 

            2.2 La ruse de la raison : 

 

Dès lors, si, malgré tout, nous ne voulons pas renoncer à l’intelligibilité du réel et à ce réel qui nous importe particulièrement puisque nous y sommes plongés ,  nous devons  postuler une rationalité cachée . Il y aura une ruse de la nature ou  de la raison mais on devra dire des hommes  qu'ils  sont plus agis qu'ils n'agissent .

 

« La nature nous montre une multitude infinie de figures et de phénomènes singuliers ; nous éprouvons le besoin d'apporter de l'unité dans cette multiplicité variée ; c'est pourquoi nous faisons des comparaisons et cherchons à connaître l'universel qui est en chaque chose. [...] En font [...] partie les lois, ainsi par exemple les lois du mouvement des corps célestes. Nous voyons les astres aujourd'hui ici, et demain là-bas ; ce désordre est pour l'esprit quelque chose qui ne lui convient pas, à quoi il ne s'en remet pas, car il a foi en un ordre, en une détermination simple, constante et universelle. C'est en ayant cette foi qu'il a dirigé sa réflexion sur les phénomènes et qu'il a connu leurs lois, fixé d'une manière universelle le mouvement des corps célestes de telle sorte qu'à partir de cette loi tout changement de lieu se laisse déterminer et connaître. Il en va de même avec les puissances qui régissent l'agir humain dans sa variété infinie. Ici aussi l'homme a foi en un universel exerçant sa domination. De tous ces exemples on peut conclure comme la réflexion est toujours à la recherche de ce qui est fixe, permanent, [...] et de ce qui régit le particulier. Cet universel ne peut être saisi avec les sens et il vaut comme ce qui est essentiel et vrai. » HEGEL

 

 

 

 

RQ on distingue en effet plusieurs types de rationalités : ( tableau d'après manuel ed°FOUCHER , A.BIHR)

1- La rationalité logique :

 

 

 

 

 

 

PRINCIPES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 ORIGINE

Elle se définit par l’ensemble des principes formel , c’est-à-dire indépendants de la nature même de l’objet de la connaissance , que doit respecter tout connaissance et toute pensée en général .

Le principe d’identité : A est A           Dans un discours ou dans une discussion , le sens d’un terme , son concept doit rester identique à lui-même , sinon on ne sait plus de quoi on parle . Cette exigence est requise pour que la pensée reste cohérente et ne sombre pas dans une suite de confusions et de contradictions inaperçues.

Le principe de non –contradiction : A n’est pas non-A

Un terme ne peut pas simultanément être quelque chose et son contraire . le principe de non-contradiction ne fait en un sens que reprendre le principe d’identité sous une forme négative : il réaffirme l’exigence fondamentale de cohérence de la pensée avec elle –même .

 

Le principe de tiers-exclu : entre A et non- A , il n’y a pas de troisième terme possible .

Dans ce cas , on n’a le choix qu’entre deux termes formellement contradictoires et qui s’excluent l’un l’autre . Nous verrons cependant que la connaissance exige que ce principe ,comme d’ailleurs les deux précédents , soit en un sens dépassé .

Ces trois principes ont été énoncés par ARISTOTE ( 388-322 av JC) et constituent la base de la logique formelle .

 

 

2 la rationalité analytique :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRINCIPES

 

 

 

Les principes précédents permettent de développer des sciences formelles comme la logique et les mathématiques. Mais ils ne nous disent pas comment développer une connaissance effective : comment prendre connaissance d’une réalité ?

Connaître une réalité , c’est d’abord l’analyser , la diviser , la décomposer , la pénétrer en en brisant l’unité et la simplicité apparentes pour en dégager les différents aspects ou éléments . par cette opération , la raison parvient à déterminer :

-des IDENTITES : à percevoir l’unité au sein de la multiplicité .

- des REGULARITES : des lois et des principes d’ordre au sein du désordre apparent des ;phénomènes ;

- des STABILITES : des invariances et des permanences sous le couvert du continuel changement de la réalité .

Cette analyse aboutit à réduire la réalité à une série d’abstractions : des concepts , des types , des classifications, des schémas, des tableaux , des données numériques , des graphes …

 

 

 

 

ORIGINE

C’est DESCARTES (1596-1650- qui a souligné l’importance de l’opération analytique dans toute démarche de connaissance en en faisant le principe de sa méthode . Ainsi recommande-t-il dans son Discours de la Méthode de « décomposer en autant de parcelles qu’il est nécessaire pour les mieux résoudre »en supposant que toute réalité peut se réduire à la composition de quelques éléments ou principes simples » .

 

 

Mais si ces principes suffisent à expliquer les phénomènes naturels, suffisent-ils à expliquer les phénomènes humains en tant qu’humains , c’est-à-dire signifiants ? Mais nous devons aussi  renoncer à la rationalité de l’action individuelle et minimiser considérablement la conscience que nous avons d'" agir" . Nous devons adopter d’autres principes  que ceux de la rationalité logique ou analytique sans nous appuyer sur le témoignage des agents .

 

 « Dans l'histoire universelle nous avons affaire à l'Idée telle qu'elle se manifeste dans l'élément de la volonté et de la liberté humaines. Ici la volonté est la base abstraite de la liberté, mais le produit qui en résulte forme l'existence éthique du peuple. Le premier principe de l'Idée est l'Idée elle-même, dans son abstraction ; l'autre principe est constitué par les passions humaines. Les deux ensemble forment la trame et le fil de l'histoire universelle. L'Idée en tant que telle est la réalité ; les passions sont le bras avec lequel elle gouverne.

     Ici ou là, les hommes défendent leurs buts particuliers contre le droit général; ils agissent librement. Mais ce qui constitue le fondement général, l'élément substantiel, le droit n'en est pas troublé. Il en va de même pour l'ordre du monde. Ses éléments sont d'une part les passions, de l'autre la Raison. Les passions constituent l'élément actif. Elles ne sont pas toujours opposées à l'ordre éthique ; bien au contraire, elles réalisent l'Universel. En ce qui concerne la morale des passions, il est évident qu'elles n'aspirent qu'à leur propre intérêt. De ce côté ci, elles apparaissent comme égoïstes et mauvaises. Or ce qui est actif est toujours individuel : dans l'action je suis moi-même, c'est mon propre but que je cherche à accomplir. Mais ce but peut être bon, et même universel. L'intérêt peut être tout à fait particulier mais il ne s'ensuit pas qu'il soit opposé à l'Universel. L'Universel doit se réaliser par le particulier.

     Nous disons donc que rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont collaboré. Cet intérêt, nous l'appelons passion lorsque refoulant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins. En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion. »            HEGEL, la raison dans l’Histoire .

 

 

 

 

3 la rationalité dialectique :

 

PRINCIPES

Pour nécessaire qu’elle soit , l’opération analytique reste insuffisante : par elle, la raison écarte certains aspects de la réalité à connaître qu’il lui faut restituer ultérieurement . C’est là la propre de la rationalité dialectique.

Aussi cette dernière considère –t-elle toute réalité :

- Dans sa TOTALITE : en restituant les   rapports complexes entre les différents éléments qui la composent , que la rationalité analytique tend au contraire à séparer et à considérer distinctement ;

-dans ses CONTRADICTIONS : en montrant que toute réalité contient en elle-même le principe de sa propre négation (dissolution, destruction) sous la forme de contradictions ( de conflits de luttes) entre ses éléments constitutifs, qui en font toujours une réalité en devenir (en incessante transformation).

_ dans ses POSSIBILITES : en mettant à jour en chaque réalité les germes d’une réalité différente, soit les tendances à l’auto-dépassement qui lui sont inhérentes .

La rationalité dialectique cherche à saisir la réalité dans le mouvement qui la produit et qui la détruit en tant qu’unité complexe d’une multiplicité d’éléments .

ORIGINE

Il revient à HEGEL ( 1770-1831) d’avoir mis en évidence la nécessité de dépasser la rationalité analytique (qu’il nommait entendement) en une rationalité supérieure d’ordre dialectique ( qu’il tenait pour la véritable forme de la raison ) . MARX , sur des base matérialistes reprendra ce terme .

 

 

En fin de compte , si le réel est rationnel c’est dans sa globalité non dans son détail . « le vrai , c’est le tout . »

Certes , il ne s’agit pas de penser qu’une Providence serait à l’œuvre  dans l’histoire des hommes non pour penser que celle-ci a un sens mais pour n’être que le véhicule de l’histoire sainte nous portant de la Chute au Jugement Dernier . Le sens de l’histoire ne serait pas extérieur à l’histoire elle-même mais il échapperait en tout cas à la conscience que les hommes peuvent en prendre .Le but de l’Histoire serait l’avènement de la Raison et de la Liberté mais paradoxalement  à l’insu des principaux intéressés .

 

  C’est seulement  rétrospectivement que  le philosophe peut dégager une rationalité à l’histoire , et c’est  en renonçant à admettre une rationalité  intrinsèque à l’action  en train de se faire que nous pouvons retrouver un ordre dans ce désordre apparent . Mais ne sommes –nous pas tombés dans un autre excès ? D’un côté en effet , nous avons vu que la thèse volontariste pèche par excès de confiance dans la liberté et la rationalité directe  de l’action des hommes  prétendant diriger le futur au nom d’un idéal hypothétique . De l’autre côté , c’est non pas l’action et l’avenir qui nous donne  foi dans la rationalité mais la contemplation du passé et la négation de l’action réduite à  la passion  qui  éclairent la rationalité du devenir . Ne pourrions –nous pas dépasser cette contradiction et admettre que la contemplation du passé soit désormais suffisante pour nous permettre une action réelle sur l’avenir ? La science authentique n'a-t-elle pas une efficacité sur la nature , pourquoi en serait-il autrement dans un domaine qui est notre propre oeuvre ? Ne convient-il pas d'affirmer désormais qu'il serait temps d'en finir avec l'opposition de l'action et de la contemplation ? Ne sommes-nous pas en mesure de soumettre l'histoire grâce à l'obéissance que nous avons à ses lois et dire avec MARX que :  «  les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde , il convient désormais de la changer »  (XI ème  thèse sur FEUERBACH .)

 

 

 3   Une science pratique :   la science ne permet –elle pas de « se rendre comme maîtres et possesseurs de »…l’histoire ?

 

L’opposition de l’action et de la contemplation , de l’action sur le futur et de la contemplation du passé n’est-elle pas arbitraire ? Le savoir authentiquement scientifique ne débouche –t-il pas sur la transformation de la nature ? BACON préconisait qu’on se soumît à la nature pour lui commander ,  pourquoi le savoir historique ferait-il exception à la règle ? Si nous sommes en mesure de connaître parfaitement les lois qui régissent les rapports entre les hommes , alors nous pourrons prévoir l’avenir et même le préparer . Telle est bien la position de MARX qui apparaît comme une synthèse où la connaissance de l'évolution permet de penser l'avènement de la  révolution .

 

            Les lois : « les hommes font l’histoire même s’ils ne savent pas l’histoire qu’ils font » : Nulle transcendance , nulle Providence ou nature providentielle ne vient telle une main invisible guider l’histoire , ce sont simplement les forces sociales. Pour comprendre l’histoire, il faut partir non de ce que les hommes pensent mais de ce qu’ils font !

 

« Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.      MARX, Avant-propos à la Critique de l'Economie politique,

in Oeuvres, t. 1, Pléiade, pp. 272-273

 

            La prévision : l’avènement d’une révolution prolétarienne puis  d’une société sans classe et sans Etat .

 

Le socialisme scientifique , par opposition au socialisme utopique  n’apparaît-il pas comme la solution la plus achevée capable  de dépasser et  les erreurs naïves d’un activisme volontariste grâce à la connaissance rigoureuses des lois économiques  et  l’attitude purement interprétative   du passé .

 Une telle thèse nous est devenue très  suspecte  et nous ne voyons que trop bien les lendemains qui déchantent car le futur humain ne peut faire l’objet d’une science .En effet,  soit nous sommes dans la science et alors nous ne pouvons dire que ce qui est , soit nous assumons le socialisme et alors nous reconnaissons que c’est ce qui devrait-être mais nous quittons le terrain de la science pour aller vers celui de l’idéal , parfaitement légitime en  tant que tel mais en tant que tel seulement  .  Dans la perspective  d’un volontarisme éclairé par le savoir , il y a une confusion entre ce qui relève de la connaissance et ce qui relève de l’action , entre ce qui est de l’ordre de l’être et ce qui est de l’ordre du devoir être ou de la valeur . On ne peut pas reprocher aux hommes d’agir et de faire venir ce qu’ils estiment être juste,   mais on peut leur reprocher de penser que ce qui relève des valeurs a la même objectivité que ce qui relève des faits et fait l’objet de science naturelle ou historique .

 En fait , on confond ici deux choses :  l’action politique irrémédiablement frappée de « la désolante contingence » avec la notion de fabrication . Dire que les hommes pourraient avoir une action politique aussi rationnelle et aussi scientifique que celle qui nous fait étudier les faits de la nature ou du passé , c’est le résultat de cette confusion .

 

 

    "La fabrication se distingue de l’action en ce qu’elle a un commencement défini et une fin qui peut être fixée d’avance : elle prend fin quand est achevé son produit qui non seulement dure plus longtemps que l’activité de fabrication mais a dès lors une sorte de « vie » propre. L’action, au contraire, comme les Grecs furent les premiers à s’en apercevoir, est en elle-même complètement fugace ; elle ne laisse jamais un produit final derrière elle. Si jamais elle a des conséquences, celles-ci consistent en général en une nouvelle chaîne infinie d’événements dont l’acteur est tout à fait incapable de connaître ou de commander d’avance l’issue finale. Le plus qu’il puisse faire est d’imposer aux choses une certaine direction, et même de cela il ne peut jamais être sûr. Aucune de ces caractéristiques n'est présente, dans la fabrication. Comparée à la fugacité et à la fragilité de l'action humaine, le monde édifié par la fabrication est d'une permanence durable et d'une immense solidité. C'est seulement dans la mesure où le produit final de la fabrication est incorporé dans le monde humain, où son usage et son « histoire » définitifs ne peuvent jamais être entièrement prédits que la fabrication déclenche aussi un processus dont l'issue ne peut être entièrement prévue et échappe par conséquent à la volonté de son auteur. Cela veut dire seulement que l'homme n'est jamais exclusivement homo faber, que même la fabricateur demeure en même temps un être agissant, qui déclenche des processus où qu'il aille et quoi qu'il fasse."

Hannah Arendt, "Le concept d'histoire", in La Crise de la culture,

Éd. Gallimard, trad. P. Lévy, Folio, 2007, pp. 81-82.

 

Plus loin,

« Ce qui distingue la théorie de MARX de toutes les autres où l’idée de « faire l’histoire »  a trouvé sa place est seulement que lui seul a compris que si l’on considère l’histoire comme l’objet d’un processus de fabrication , il doit arriver un moment où cet objet « est » achevé , et que si l’on s’imagine qu’on peut « faire l’histoire », on ne peut échapper à cette conséquence qu’il y aura une fin à l’histoire. Chaque fois que nous entendons parler de buts grandioses de la politique, comme d’établir une nouvelle société où la justice sera à jamais garantie, ou de faire une guerre qui mettra fin à toutes les guerres, ou d’assurer la démocratie au monde entier, nous nous mouvons à l’intérieur de ce mode de pensée » 

 

 

 

 

 

Conclusion

 

Peut-on dire que ce sont les hommes qui font l’histoire ? Oui ,  même s’ils ne savent pas toujours l’histoire qu’ils font . Les philosophies de l’histoire ont raison mais il ne faut pas en conclure qu’elle leur échappe ou au contraire qu’un immense savoir pourrait nous éclairer sur ce que nous devons faire . Désormais , nous ne pouvons plus ignorer ce qu’ « un faire l’histoire »  peut vouloir dire . Nous ne pouvons plus , tel le Christ sur le Golgotha nous pardonner à nous-mêmes en disant que nous ne savons pas ce que nous faisions !  Maintenant nous savons !  Si les hommes font l’histoire , on veut dire par là qu’ils agissent sans parfaitement maîtriser toutes les conséquences de leurs actes , et ils ne sont pas en mesure de la fabriquer , l’avenir est par là imprévisible et ouvert . Mais  nous ne sommes pas dispensés de la question posée par le philosophe : Que devons-nous faire ? Et nous pourrions rajouter sans que notre faire ne tourne au cauchemar et sans   que , pour la même raison nous renonçions à faire quoi que ce soit ,  ce qui pourrait d’ailleurs être plus néfaste encore  ! Nous qui sommes capables de tant de choses   sur la nature , serions-nous totalement désabusés et impuissants concernant notre propre avenir dont le moins que l’on puisse dire  est qu’il est lié aux actions que nous avons entreprises sur elle .

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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 21:39

oedipe sphinx 2  

Peut-on expliquer une œuvre d’art ?

 

RQ la difficulté du sujet c’est qu’il est question non de l’art en général ni même des œuvres d’art mais d’une œuvre d’art .  On insiste bien sur la singularité,  dans tous les sens (quantitatif et qualitatif ) de l’œuvre . Ici le paradoxe réside dans le contraste entre expliquer  qui renvoie  à une relation causale identifiable qui ferait de l’œuvre un objet comme les autres et l’œuvre d’art généralement caractérisée par son originalité , son unicité , mais aussi son équivocité inclassable . L’intérêt de ce sujet est d’utiliser le concept de cause et les repères du programme : on oppose expliquer et comprendre …mais de façon beaucoup moins utilitariste à nous faire réfléchir à ce qu’est non seulement une œuvre d’art mais aussi, paradoxalement, la raison et ses opérations .

 

 

Une œuvre d’art est le résultat de la production humaine et non un effet de la nature .Une symphonie, un tableau, un roman sont le produit de l’activité et de l’intelligence des hommes  . Mais comment l’expliquer alors  même qu’ on ne peut définir « une » œuvre parce qu’on ne définit que ce qui est généralisable . A fortiori, semble-t-il très improbable d’expliquer une œuvre d’art . La singularité n’est-elle pas d’abord originalité ? Or l’originalité n’est-elle pas par définition même ce qui ne peut être ramenée à des règles, c’est-à-dire expliquée ? Qui plus est, un tableau n’est pas censé boucher un trou dans le mur ou épater les philistins cultivés mais être là pour lui-même , être à lui-même sa propre fin .On  peut-on donc se demander si on peut  expliquer une œuvre d’art .

Il s’agit de savoir si on peut donner les causes efficientes et finales qui ont présidé à la réalisation de l’œuvre  d’art  et la considérer  comme effet ?

A priori, l’œuvre d’art a toutes les apparences d’un mystère . Un mystère c’est ce qui est caché et qui résiste aux explications rationnelles . C’est l’expression de l’imagination et de la fantaisie mais  alors l’œuvre risque d’ apparaître comme un simple divertissement, ou au contraire comme une chose ineffable, au-delà du concept, dans tous les cas comme incapable d’intéresser la raison . D’un autre côté, une œuvre d’art c’est un objet humain et qui comme tel s’inscrit dans l’histoire aussi bien celle des hommes en général que celles des techniques et de la philosophie mais alors on risque de ramener l’effet à ses causes , ce qui est singulier à ce qui est général , ce qui est artistique à ce qui ne l’est pas , bref de la réduire à une simple énigme déchiffrée par l’homme aux 1000 ruses (Ulysse)  !

Le problème concerne l’essence de l’œuvre d’art : peut-elle faire l’objet  d’un discours  sans que l’on détruise ce qui fait sa singularité ?  Peut-on parler d’une œuvre sans parler sur elle ou à côté d’elle ?

L’enjeu concerne la capacité pour une œuvre par définition singulière à être universelle sans être conceptuelle .

 

 

1      L’œuvre d’art se présente comme   un  mystère : On ne peut l’expliquer en droit , c’est-à-dire ici au niveau du concept , parce qu’elle n’est pas de l’ordre du concept .

 

ARISTOTE nous dit qu’on peut se poser 4 questions à propos d’un objet fabriqué , nous pouvons nous aider de ses questions pour répondre à la questions posée .

 Question concernant la cause  matérielle : en quoi ?   

 Question concernant la cause formelle : qu’est-ce que c’est ?

 Question concernant la cause efficiente ou mécanique : comment ou qui ?

 Question concernant la cause finale : en vue de quoi ?

Concernant l'oeuvre d'art, on pourrait après tout répondre aisément : la statue de marbre représente Athéna, a été exécutée par PHIDIAS, pour orner un temple. Toutefois cette évidence cache mal certaines questions liées à chaque question et à leur rapport. Pourquoi le marbre ? Pourquoi Athéna ? pourquoi le marbre pour Athéna? l'artiste travaille-t-il comme un artisan ? Une oeuvre d'art n'est-elle pas comme telle libérée de toute fonction ? Dès que l'on essaie de penser l'art on se heurte à des difficultés liés au foisonnement de ses productions et à leur impossible transparence

 

 

 

1.1   La cause matérielle

    Concernant la première cause, il semble vraiment impossible de répondre tant les matériaux de l’art sont multiples y compris ceux qui sont le plus immatériels …ou au contraire des matériaux du BTP , du très noble et de l’ignoble , de l’or mais aussi des vieux pneus ou du caoutchouc !

 

 

1.2  La cause formelle :  Là aussi nous nous heurtons à l’extraordinaire multiplicité des formes qui nous interdit de dégager l’unité , c’est-à-dire l’essence :

  On ne définit que des  essences , on décrit des choses singulières .  On ne définit pas un insecte mais l’insecte . Pour qu’il existe une définition de l’insecte , il faut qu’il y ait des caractères communs , des ressemblances entre les objets à définir mais quelle ressemblance entre le portrait de la du Barry et une tête de Maori ? Entre une pyramide faite pour l’éternité et le « happening » .Entre  le presque rien  et ce qui semble parfois être  n’importe quoi !  Il est déjà bien difficile de définir le concept d’art du fait d’une extension qui rend impossible la compréhension ,  a fortiori  une œuvre !

 

 

1.3  la  causes finale : Dans quel but ? Là encore l’œuvre d’art nous laisse au dépourvu :

 Ni objet de consommation

 « Le désir ne peut pas davantage laisser l’objet subsister dans sa liberté, car sa nature le pousse justement à supprimer l’indépendance et la liberté des objets extérieurs et à montrer qu’ils ne sont là que pour être détruits et utilisés jusqu’à épuisement . Mais  parallèlement le sujet, prisonnier des intérêts individuels , limités et médiocres de ses désirs, n’est libre , ni en lui-même , puisque les déterminations qu’il prend ne viennent pas d’une volonté essentiellement universelle et raisonnable, ni vis-à-vis du monde extérieur, puisque le désir reste essentiellement déterminé et attaché à eux » HEGEL

 

 

Ni objet de spéculation :

 « une seconde façon pour les objets extérieurs de se présenter à l’esprit, par opposition à l’intuition sensible individuelle et au désir pratique , est la relation purement spéculative qu’ils soutiennent avec l’intelligence . Dans la contemplation spéculative , l’esprit ne s’intéresse pas à l’individualité des choses ; il ne s’agit ni de les consommer , ni d’y puiser satisfaction et subsistances sensibles ; ce qui intéresse, c’est de les connaître dans leur universalité, de pénétrer leur essence et leur loi intérieure, de les saisir conformément à leur concept ….L’intelligence ne s’attache pas à l’individuel en tant que tel , comme fait le désir , mais seulement dans la mesure où il contient aussi quelque chose d’universel . »HEGEL

 

Mais objet de contemplation.

« L’art diffère à la fois de l’un et de l’autre de ces deux modes ; il tient le milieu entre la perception sensible et l’abstraction rationnelle. Il se distingue de la première en ce qu’il ne s’attache pas au réel, mais à l’apparence, à la forme de l’objet, et qu’il n’éprouve aucun besoin intéressé de le consommer, de le faire servir à un usage, de l’utiliser. Il diffère de la science en ce qu’il s’intéresse à l’objet particulier et à sa forme sensible. Ce qu’il aime à voir en lui, ce n’est ni sa réalité matérielle ni l’idée pure dans sa généralité, mais une apparence, une image de la vérité, quelque chose d’idéal qui apparaît en lui ; il saisit le lien des deux termes, leur accord et leur intime harmonie. Aussi le besoin qu’il éprouve est-il tout contemplatif. En présence de ce spectacle, l’âme se sent affranchie de tout désir intéressé. »     HEGEL , Esthétique, 1835 , T 1

 

Si subjectivement nous sommes dans une attitude de contemplation , c’est parce que nous sommes saisis par la beauté d’un objet qui apparaît  . La beauté est chose sensible en effet , elle se voit et s’entend ,elle apparaît,  elle ne se goûte pas, ne se touche pas , ne se sent pas . Si la beauté  s’adressait à d’autres sens, il n’y aurait pas de possibilité que l’objet se maintienne dans l’existence ;il  faudrait abolir la distance entre lui et nous pour en jouir . Le plaisir éprouvé par la vue et l’ouïe maintient son objet à distance, il ne le détruit pas , c’est aussi la raison pour laquelle on ne s’en lasse pas et que le plaisir est potentiellement inépuisable alors que les plaisirs sensuels rencontrent inévitablement les limites du corps et la logique du désir qui nous mène à l’ennui .  La vue et l’ouïe sont des sens pour ainsi dire intellectuels et nobles face aux sens « ignobles » qui nous rapprochent plus de l’animalité . le Beau n’est pas l’agréable seulement . L’animal est sûrement touché par l’agréable, par la beauté, non car il lui faudrait regarder une œuvre d’art ou même la nature de façon désintéressée . Regarder la nature pour elle-même , en elle –même et non pour les besoins qu’elle satisfait , voilà une attitude propre à l’homme  .

Mais par ailleurs, si la beauté était chose purement intellectuelle , elle ne serait pas visible ou audible, elle serait concevable et sans doute démontrable . Or le plaisir éprouvé devant la beauté est sensible, la beauté se voit et s’entend, elle ne se définit pas, elle ne peut être appréhendée par nos facultés purement rationnelles . l’idée de perfection n’est pas la beauté , même si la perfection n’est pas de ce monde on peut parfaitement la définir : « ce à quoi rien ne manque » et dans un certain ordre de choses , la perfection peut être envisagée comme ce qui rempli adéquatement une fonction .

On pourra parler de la perfection du corps masculin ou féminin en fonction de leurs rôles biologiques par exemple .

La beauté n’est ni l’agréable, ni le parfait : la beauté est chose sensible , pas sensuelle ou intellectuelle .

La beauté , comme le pense PLATON assurerait-elle le lien entre le sensible et l’intelligible, serait-elle capable de nous mener du visible à l’invisible ? Le mystère de l’œuvre ne résiderait-il pas essentiellement  et paradoxalement dans le mystère   de la beauté ? c’est paradoxal en effet parce que la beauté « saute toujours aux yeux » , on ne réfléchit pas pour savoir si une chose est belle ou pas ! Or ce qui est mystérieux c’est ce qui d’après l’étymologie est caché . La beauté défie l’intelligence et naturellement la séduit ! l’artiste la recherche parfois désespérément .

 

1.4  la cause efficiente ?  

 Celui qui produit une œuvre c’est un artiste mais peut-on expliquer la façon dont il produit ? Là aussi, il semble que nous ne puissions expliquer comment il procède mais qui pis est , lui non plus ! On dit de l’artiste qu’il produit des œuvres mais qu’à bien des égards , il ne s’agit pas d’un travail ordinaire .

On dit de l’artiste non pas qu’il fabrique mais qu’il crée , non pas qu’il travaille mais qu’à la limite il joue . Dans tous les cas, on parlera du mystère du génie artistique ou de celui de l’inspiration . Créer c’est produire quelque chose à partir de rien , en ce sens , l’artiste n’est un créateur qu’en un sens dérivé . Seul Dieu, s’il existe, est créateur en un sens absolu . Mais créer cela nous renvoie surtout à la toute puissance de la pensée . Lorsque Dieu dit « Fiat lux» , « que la lumière soit, et la lumière fut » ,

Aussitôt dit, aussitôt fait pour Dieu !!!  la Bible indique par là que que la puissance de la pensée divine est telle qu’elle engendre le réel sans que la matière lui résiste et sans par conséquent qu’il y ait d’effort .  De même,  l’artiste nous semble engendrer des formes par la toute puissance de son esprit sans que cela ne se traduise pas un travail . Dans l’antiquité , on pensait que l’artiste écrivait sous la dictée des Muses tant son activité avait l’air d’être facile et en même temps incommunicable .

 

C’est ce qu’explique aussi ALAIN dans son très célèbre texte :

 

 

  . « Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l'oeuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une oeuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine bien réglée d'abord ferait l'oeuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'oeuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son oeuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s'étonne lui-même.

Un beau vers n'est pas d'abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. (...) Ainsi la règle du Beau n'apparaît que dans l'oeuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre oeuvre. »

                                                                                                                        ALAIN

 

L’artiste n’est pas tant un être inspiré qu’un génie qui est la version plus récente (XVIII ème siècle )  du mystère de la création artistique . On ne dit plus que les Muses inspirent le poète mais que ce dernier possède une qualité innée . Dans tous les cas on apprend pas l’art à l’école . En ce sens , on ne peut pas parler de génie en science car la science par définition même s’enseigne et s’apprend , elle est dans son fond exotérique . « La science, c’est « nous », l’art c’est « je » »  répète Claude BERNARD .

La beauté ici est "prise dans l’œuvre ce qui veut dire qu’on ne peut passer par un raisonnement inductif à la généralisation.  Elle est proprement ineffable , c’est-à-dire , hors du langage et de la raison . Toute la question serait de savoir si elle est en deçà ou au-delà !

 

 

 

T° Une œuvre d’art résiste à la définition et à l’explication du fait de sa dimension singulière pourtant , une œuvre est le résultat concret  d’une activité humaine, et à ce titre elle s’inscrit dans l’histoire .Dès lors, ne serait –il pas possible en fait de l’expliquer en affirmant que le mystère de l’art ne résiste pas à l’examen de la raison , qu'elle se présente comme une simple énigme résolue par la toute puissance du concept ?

 

 

 

 

                                    2  Tout le réel est rationnel ou la subordination du Beau au Vrai , de l’art à la philosophie . 

Certes , concernant les causes matérielles et formelles nous sommes encore livrés à la diversité des objets et de leurs supports mais comme pour le réel naturel, nous pouvons chercher à en dégager les causes .

                                                2.1 causes finales :

Dire que l’art ne remplit pas de fonction, c’est très rapide et superficiel. Quand on regarde l’histoire de l’art , on voit bien que les œuvres d’art sont d’abord au service de la religion et du pouvoir , au service en somme de ce qui est sacré parce qu’au fondement de l’ordre social  . Or l’art représente le sacré qu’il soit divin ou politique ou les deux en même temps . Représenter , c’est rendre présent   mais aussi mettre en scène . On représente l’absence afin qu’elle ne le soit plus et c’est glorifier aussi . L’œuvre a donc une fonction idéologique et appartient aux superstructures elles-mêmes issues d’un certain ordre ou désordre économique… C’est bien sûr assez trivial mais les exemples sont nombreux qui mettent en scène le pouvoir politique et ou religieux .

Michel FOUCAULT a fait de belles analyses à ce sujet à propos des Ménines de VELASQUEZ . Cf Les mots et les choses .

 

 

                                                2.2 causes efficientes  l’artiste et son travail  : art et technique

 

                        a) l’artiste n’est qu’un homme :  expliquer l’œuvre par la psychologie de l’artiste, l’œuvre par l’homme .

cf FREUD ; « un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci » .

 

                        b) Il s’inscrit dans un contexte du développement des techniques et des codes culturels en vigueur . Il est fils de son temps , fils du temps des techniques possibles . On ne peindra plus comme avant avec l’invention de la perspective  au XIV siècle en Italie . La peinture figurative à l’époque de l’art contemporain nous semble anachronique .

                       

 

                          c)  Quant au prétendu génie , NIETZSCHE , nous explique la supercherie :

 

 

"Les artistes ont intérêt à ce que l'on croie à leurs intuitions subites, à leurs prétendues inspirations ; comme si l'idée de l'oeuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie tombaient du ciel tel un rayon de la grâce. En vérité, l'imagination du bon artiste, ou penseur, ne cesse de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé et exercé, rejette choisit, combine ; on voit ainsi aujourd'hui, par les Carnets de Beethoven, qu'il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant pour ainsi dire d'esquisses multiples. Quant à celui qui est moins sévère dans son choix et s'en remet volontiers à sa mémoire reproductrice, il pourra le cas échéant devenir un grand improvisateur ; mais c'est un bas niveau que celui de l'improvisation artistique au regard de l'idée choisie avec peine et sérieux pour une oeuvre. Tous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s'agissait d'inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d'arranger".

 

Nietzsche, Humain, trop humain (1878), § 155, trad. R. Rovini, p. 138.

 

 

 

    2.3 art et philosophie   .

 

Mais l’art est aussi objet de la philosophie , c’est la philosophie de l’art ou Esthétique et il s'agit , paradoxalement, de réfléchir ce qui est donc esthétique , c'est-à-dire sensible .

 

« L’esthétique a pour objet le vaste empire du beau. Son domaine est surtout le beau dans l’art. Pour employer l’expression qui convient le mieux à cette science, c’est la philosophie de l’art et des beaux-arts » 

 

                  « Le véritable but de l’art est donc de représenter le beau, de révéler cette harmonie. C’est là son unique destination. Tout autre but, la purification, l’amélioration morale, l’édification, l’instruction, sont des accessoires ou des conséquences. La contemplation du beau a pour effet de produire en nous une jouissance calme et pure, incompatible avec les plaisirs grossiers des sens ; elle élève l’âme au-dessus de la sphère habituelle de ses pensées ; elle la prédispose aux résolutions nobles et aux actions généreuses, par l’étroite affinité qui existe entre les trois sentiments et les trois idées du bien, du beau et du divin. »

 

 

MAIS si la philosophie considère que l’art est chose spirituelle , elle n’est pourtant pas l’expression la plus haute de l’esprit :

 

 « Si nous donnons à l’art un rang aussi élevé, il ne faut pas oublier cependant qu’il n’est ni par son contenu ni par sa forme la manifestation la plus haute, l’expression dernière et absolue par laquelle le vrai se révèle à l’esprit. Par cela même qu’il est obligé de revêtir ses conceptions d’une forme sensible, son cercle est limité : il ne peut atteindre qu’un degré de la vérité. Sans doute il est de la destination même de la vérité de se développer sous une forme sensible, et de s’y révéler d’une manière adéquate à elle-même ; elle fournit ainsi à l’art son type le plus pur, comme la représentation des divinités grecques en est un exemple. Mais il y a une manière plus profonde de comprendre la vérité : c’est lorsque celle-ci ne fait plus alliance avec le sensible, et le dépasse à un tel point qu’il ne peut plus ni la contenir ni l’exprimer.  Chez nous, la pensée a débordé les beaux-arts. Dans nos jugements et nos actes, nous nous laissons gouverner par des principes abstraits et des règles générales. L’artiste lui- même ne peut échapper à cette influence qui domine ses inspirations. Il ne peut s’abstraire du monde où il vit, et se créer une solitude qui lui permette de ressusciter l’art dans la naïveté primitive. Dans de telles circonstances, l’art avec sa haute destination est quelque chose de passé ; il a perdu pour nous sa vérité et sa vie1. Nous le considérons d’une manière trop spéculative pour qu’il reprenne dans les mœurs la place, élevée qu’il y occupait autrefois Nous raisonnons nos jouissances et nos impressions ; tout dans les œuvres d’art est devenu pour nous matière à critique ou sujet d’observations. La science de l’art, à une pareille époque, est bien plus un besoin qu’aux temps où il avait le privilège de satisfaire par lui- même pleinement les intelligences. Aujourd’hui il semble convier la philosophie à s’occuper de lui, non pour qu’elle le ramène à son but, mais pour qu’elle étudie ses lois et approfondisse sa nature.

                                                            HEGEL Esthétique tome 1 (1835)

 

RQ : il y a une parenté profonde en fin de compte entre PLATON et HEGEL, même si HEGEL restreint la beauté au domaine de l’art  , tous les deux font de la beauté une chose équivoque , admirable mais dangereuse: admirable parce que la beauté peut-être une allusion au vrai et nous mener du monde visible et sensible au monde intelligible , mais dangereuse parce qu’elle peut nous  maintenir dans le monde sensible , elle peut nous maintenir dans l’illusion et interdire toute ascension vers  l’intelligible et les idées en soi . Pour PLATON  L’artiste peut produire des simulacres et devenir l’ennemi du philosophe ami de la vérité , pour HEGEL, il n’y a même plus de danger , l’art est mort !

Curieuse cette obsession à les chasser de la Cité ou à les déclarer mort !  L’art ne serait-il pas le grand rival de la philosophie ?

   

 

 

 

 

             T° Ainsi,  s’ « il n’y a de science que du général » comme le rappelle ARISTOTE , on ne peut si l’on veut expliquer une œuvre d’art que la ramener à du général , autrement dit à ce qui n’est pas elle mais à de l’histoire,  à de la religion ,à  de la technique ou à de la philosophie . En fin de compte, on en vient à la nier et à considérer bien imprudemment qu’elle est dépassée . Pourtant ne serait-il pas temps de s’apercevoir que ce qui fait justement la force d’une œuvre d’art c’est, objectivement, son immortalité, le fait que justement elle résiste à son contexte d’origine , qu’elle transcende les circonstances qui l’ont vu naître . N’ y aurait-il pas un monde de l’art qui serait  un monde à part qu’aucun concept,  jamais, ne saurait  saisir ?

 

 

3  l’œuvre d’art : une rivale du concept !   

 

              3.1 l’immortalité de l’œuvre d’art .

 

 

Ce qui frappe dans une œuvre même très lointaine , c’est que les causes qui l’ont produites ont disparu, elles sont obsolètes en tout cas .  L’œuvre, cependant, demeure,elle naît ,dira MALRAUX, au monde de l’art . Il utilise le terme de délivrance emprunté au vocabulaire de l’obstétrique (art d’accoucher).

La délivrance désigne le processus de purification par lequel la création arrache le sujet (le spectacle, le motif, l’histoire) au monde dont il est issu. Elle révèle le caractère inessentiel du sujet . Cette purification joue à deux niveau : dans le passage du spectacle au tableau et dans le passage de l’œuvre au Musée . Dans le passage du spectacle au tableau d’abord , puisque l’acte créateur n’imite pas le réel mais nous en délivre. Dans le passage de l’œuvre au Musé, puisque c’est au sein du musée que l’œuvre apparaît comme pure forme,  délivrée de tout ce qui constituait sa fonction première . 

 

 

"Il est impossible de concevoir le Musée comme historique. Pour un peintre du moins. Ce serait simplement ridicule. Vous vous imaginez un peintre qui arrive devant le Musée en considérant chaque salle comme un produit ? Les colonies produisent des bananes […] Le XVIe siècle produit l'art du XVIe siècle ? C'est dément ! Il est bien entendu que pour n'importe quel peintre, ce qui compte de l'art du passé est présent […] J'avais pris l'exemple du saint : pour celui qui prie, le saint a son point d'appui dans une vie historique. Mais il a une autre vie au moment où on est en train de le prier : quand on le prie, il est présent. En somme, le saint est dans trois temps : il est dans son éternité, il est dans son temps historique ou chronologique, et il est dans le présent. Pour moi, ce serait presque la réponse à la question « qu'est-ce pour vous qu'une œuvre d'art ? » C'est une œuvre qui a un présent. Alors que tout le reste du passé n'a pas de présent. Alexandre a une légende, il a une histoire, mais il n'a pas de présent. Vous sentez bien que vous ne pouvez pas ressentir de la même façon une peinture de Lascaux et un silex taillé. Le silex taillé est dans l'histoire chronologique. Le bison peint y est aussi, mais en même temps, il est ailleurs. Et là, vous mettez le doigt sur ce qui est absolument fondamental à mes yeux. Ce que je dis d'important, c'est ça on ne peut pas concevoir l'art moderne, dans ses rapports avec le musée imaginaire, etc., si on ne commence pas par ressentir que l'œuvre d'art de notre temps est dans un temps qui n'est pas soumis à l'ordre chronologique..."

André MALRAUX, Lazare. Le Miroir des Limbes. Éd. Gallimard, 1974.

 

 

 

 Précisément ce qui oppose une œuvre d’art à un objet technique c’est l’obsolescence ,qu'elle soit"programmée" ou involontaire . Le progrès appartient consubstantiellement  à la technique mais pas à l’art .

Une œuvre d’art n’est jamais dépassée par le progrès technique . L’invention de la perspective ou la photographie n’ont pas supplanté les bleus de Chartres  et c’est vrai que cela étonne .

Comment expliquer , peut-on expliquer ? Ici la question prend une autre dimension puisque nous avons vu que les réponses « classiques » ne nous satisfont pas pleinement .

Il faut en tout cas en prendre acte et admettre que l’approche explicative et objective a

 échoué . Ne serait-il pas temps  d’avoir une approche plus compréhensive et plus descriptive ?

 

 

3.2  L'artiste , le vrai philosophe ?

 

  a) regard sur l'oeuvre d'art :

 

  Si l'oeuvre d'art est chose spirituelle mais qu'elle est aussi chose singulière nous ne pouvons pas l'expliquer mais la comprendre . Expliquer et comprendre peuvent parfois se compléter : le professeur explique, les élèves comprennent (c'est l'idéal !) , mais ces termes peuvent aussi s'opposer ." Les phénomènes de la nature , nous les expliquons, la vie de l'âme nous la comprenons." DILTHEY.

Une oeuvre d'art est l'expression d'une conscience et d'une liberté et sa singularité inépuisable nous autorise non à la définir mais à la décrire .On définit des essences , on décrit des accidents  contingents qui constituent l'individualité d'une chose .  En matière d'art , cette nécessité de la description n'est pas impuissance mais richesse de sens . C'est l'entendement diviseur qui ici est inadapté .

L'oeuvre serait donc ineffable non par un manque mais par un excès et la profusion de commentaires , d'interprétations,   et d'appréciations ?

 

b) l'oeuvre comme regard:

 

A la limite , l'artiste ne serait -il pas capable, bien mieux que le philosophe, "de revenir aux choses mêmes" ?

IL serait celui qui assurerait  le retour aux choses mêmes avant l’émergence du je pense et du je conçois , je juge et je raisonne ? Une œuvre d’art ne serait –elle pas la métaphysique que tout philosophe recherche ? L'artiste ne serait-il pas plus apte que le philosophe à montrer le réel par delà un langage conventionnel et réducteur ?

 

 

  

  Une oeuvre d'art n'est pas un objet comme les autres , parler d'elle comme d'un mystère est sans doute insuffisant car devant un mystère , on se tait et le plus souvent on adhère . Une oeuvre d'art au contraire nous interroge, nous provoque même et nous fait parler, elle est donc pas étrangère à la recherche de la vérité  mais  ce n'est pas nous qui l'interrogeons , c'est nous qui devons écouter ce qu'elle à nous dire .

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3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 12:01

 

Une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ? (esquisse)

 

Le concept de culture est polysémique mais quand on parle d’une culture on entend par là ce qui la distingue des autres . En effet, une culture possède  des caractères qui lui sont propres et qui constituent son identité  . Ainsi, la langue, la religion, des mœurs, l’état de son développement technique, ses arts constituent ses signes distinctifs . Quant aux valeurs universelles, elles désignent des idées , des principes universellement acceptés par tous les hommes quelle que soit leur culture . Mais justement , une question se pose : une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ?

Il s’agit de savoir s’il est possible et légitime (ici j’analyse, je décompose le « peut-elle ») qu’une culture , forcément particulière,  puisse porter, c’est-à-dire avoir la capacité , à promouvoir des valeurs transcendant sa propre source et susceptibles de s’étendre à tous et toutes ?

A priori, ( à ce stade je dois montrer le paradoxe contenu dans le sujet et ici je m’appuie sur l’analyse des concepts à laquelle je viens de procéder  ) ,si une culture est particulière , elle n’est pas universelle !!! D’un point de vue strictement logique ce qui est particulier c’est ce qui ne concerne que la partie d’un tout et la partie seulement ! Donc, en droit, c’est-à-dire ici conformément aux principes de la logique ,  elle ne peut pas l’être , c’est impossible ,  impensable parce que contradictoire .(je viens donc de fournir la 1ère réponse en m’appuyant sur un sens de « peut » qui est celui de la possibilité logique )

Mais, il serait très naïf d’oublier que les faits se moquent bien de la logique ! En fait , bien des cultures prétendent être porteuse de valeurs universelles . (ici , je développe le sens de « peut » au sens de possibilité matérielle ) . L’anglais n’est-il pas devenu la langue universelle ? Quant à l’Eglise romaine n’a-t-elle pas vocation à être universelle , c'est-à-dire , catholique  ? l’Islam n'est il pas une religion tout aussi prosélyte ? Quant au mode de vie occidental n’est-il pas devenu aussi l’idéal de vie de toute la planète ?

Dès lors , entre l’impossibilité logique et la réalité des faits , que devons-nous penser ?

Le problème serait donc de savoir si nous pouvons dégager les critères de la légitimité (ici je m’appuie sur le dernier sens du « peut-elle » qui est celui sur lequel, enfin , on réfléchira vraiment, )  qui autorise une culture à  exporter ses valeurs sans qu’elle se voie accusée d’impérialisme culturel .

L’enjeu est essentiel  il porte sur la possibilité pour les hommes d’avoir des valeurs communes qui leurs permettent évidemment de vivre ensemble malgré la diversité de leur cultures respectives .

 

 

 

1 Quelques précisions sémantiques

            1.1 définition du concept de nature/culture.

                        a) la définition de la nature

                        b) la définition de la culture

            1.2 la culture dont il est question ici indique la façon concrète et diverse par laquelle les cultures se manifestent .Il ne faut donc pas confondre la culture (par opposition à la nature)  et une culture parmi d'autres. .Ce qui est frappant , c’est la diversité des langues, des religions, des façons de vivre, jusque dans ce que l’on croit « naturel » et qui est en fait toujours « culturel » cf Marcel MAUSS , les techniques du corps . (ce paragraphe peut-être descriptif car on s’appuie sur l’ethnographie .)

 

T° Si on radicalise, on peut voir que ce qui fait l’identité d’une culture , c’est sa différence avec les autres et qu’en aucun cas , du moins sur le plan logique , ce qui constitue une caractéristique contingente et particulière ne peut devenir universelle et nécessaire sauf à enfreindre les lois fondamentales de la logique ! On le sait, pourtant  l’histoire n’aime pas trop la logique , elle se moque bien de violer le principe de contradiction ! Les faits nous indiquent plutôt qu’une culture obéirait au principe de la logique de l’expansion !

 

2 La logique de l’expansion ou les faits qui dénoncent le prétendu droit .

 

                        2.1 De la diversité à la conflictualité et de la conflictualité à la domination .

Puisque la terre est ronde, les cultures ne pouvant plus s’accroître dans un espace infini , se rencontrent et rentrent en conflit . On assiste à une lutte pour la vie des cultures qui s’érigent en modèle et par la guerre prétendent s’imposer aux voisins immédiats ou plus lointains .

La guerre n’est pas une simple violence entre deux ou plusieurs protagonistes , elle implique d’abord des Etats ou au moins des groupes constitués qui revendiquent un territoire spatial  .

                        2.2 Mais , mauvaise conscience ou effet de mode, les cultures justifient souvent ces expansions derrière un masque idéologique où la religion a la plus grande part . Les croisades , les guerres soit-disant « saintes », viennent  toujours d’une volonté de posséder, l’or , les épices, ou le pétrole et bientôt peut-être,  l’eau .

                        2.3 Quoiqu’il en soit , derrière les justifications idéologiques, il n’y a guère, sans mauvais jeu de mots, que la soif de domination et l’avènement du droit du plus fort .

 

 

T° D’un côté, une culture ce n’est qu ‘ « une » culture , de l’autre il est dans la nature d’une culture de s’ériger en modèle civilisationnel . Rappelons que la concept de civilisation se distingue au moins du concept de culture par son aspect quantitatif . Une civilisation c’est plus grand qu’une culture parce qu’une civilisation , précisément,  intègre différentes cultures. On dira que la civilisation orientale intègre dans son concept la culture chinoise, mais aussi la culture japonaise,  coréenne . La culture occidentale elle-même a intégré Athènes la rationnelle et Jérusalem la croyante . (cf  T .TODOROV) . Reste à savoir en effet « comment » elle fait cette intégration et au nom de quoi !

 Il y a donc dans le concept de civilisation quelque chose de purement factuel , ce  pourrait être une culture qui a réussi au sens où l’on dit du christianisme qui a fini par s’imposer que ce n’est au fond qu’ « une secte qui a réussi » !

 

 Mais le concept de civilisation possède aussi un sens qualitatif, voire moral et dynamique . Le concept de civilisation  possède donc  le sens  de progrès . On parle des progrès de la civilisation , c’est-à-dire du progrès des lumières de la  raison  sur l’obscurantisme et la barbarie . Le concept de civilisation est en ce sens un idéal . 

 Autrement dit , une civilisation serait vraiment civilisée dans sa capacité à intégrer , c’est-à-dire à transcender les différences culturelles non au nom d’un odieux et injuste droit du plus fort mais au nom d’une capacité à promouvoir ce qui  serait vraiment légitime .

Pouvons-nous donc chercher à dégager les critères permettant de légitimer une culture à posséder virtuellement la capacité à être universelle ? En d’autres termes, pouvons-nous  dégager le droit pour une culture de s’ériger en modèle de civilisation ?

 

 

3 De la culture à la civilisation ou des critères d’une civilisation civilisée .

 

                        3.1 des faits culturels objectivement universels .

Jusqu’à présent nous n’avons évoqué que des faits bien polémiques , mais ne se trouve-t-on pas parfois en possession de faits qui posent objectivement problème puisqu’ils proviennent d’une ou de plusieurs cultures particulières mais  sont universels ? Les mathématiques, la géométrie, ne sont-t-elle pas grecques ? l’algèbre, arabe ? le zéro, indien ? Bref , devrions-nous au nom du respect des cultures et de leur égale dignité écrire en chiffres romains ? 

Or sur quoi se fonde une telle universalité ? N’est-elle pas liée au fait que par delà les cultures , il y a une faculté que possède tous les hommes,  à savoir la raison ? Si les mathématiques se sont imposées à tous c’est parce qu’elles ne sont pas le produit fantaisiste dont les cultures sont en effet capables , mais parce qu’elles se fondent sur cette faculté qui fait l’essence même de l’homme quelle que soit sa culture . Cette faculté c’est la raison  .

Vouloir renoncer à la raison  ce serait ici  invoquer l’argument de la folie  et on n’a pas attendu  DESCARTES  pour savoir que ce n’est pas un argument soutenable.

Mais si l’homme est décidément un animal raisonnable , ne pourrait-il pas faire fonds sur cette raison , non seulement pour penser mais aussi pour vivre ?

N’y-a-t-il pas d’autres faits culturels qui prétendent s’ériger en normes transcendantes concernant non plus la façon dont nous devons penser mais la façon dont nous devons vivre ?

 

 

                        3.2 La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Que dit exactement ce texte ? Que présuppose-t-il ? Il affirme que ce qui fait l’essence de l’homme c’est la conscience et la raison , non le sexe ou la race  . Un homme blanc devenant noir ou femme n’en continuerait pas moins d’être homme !!! Sexe et race sont des accidents qui n’appartiennent pas à l’essence de l’homme , c’est-à-dire à ce qui lui appartient  nécessairement .

Faudrait-il renoncer à ce point à la logique et affirmer que l’égalité ne concerne que ceux qui appartiennent à tel ou tel sexe , à telle ou telle « ethnie », mais cela impliquerait  que les mathématiques ne sont que grecques et masculines !   Or si EUCLIDE,  THALES et PYTHAGORE sont des mâles grecs ils ont inventé ou découvert (? ) un savoir dépassant à jamais le siècle de PERICLES ! 

 

Nous vivons dans une époque scientiste  qui s’accompagne paradoxalement d’une conception relativiste dans le domaine

de l’action .

 Parler d'un "choc des civilisations"illustre parfaitement ce que nous voulons dire car une telle opinion présuppose que l'on réduise le sens du terme à sa dimension purement factuelle .De fait , il existe plusieurs civilisations au sens quantitatif, mais il n'existe qu'une seule idée de civilisation au sens qualitatif : le  progrès de la civilisation est toujours et partout reconnaissable, sa regression, toujours possible, dans la barbarie,   l'est tout autant  !

En ce sens , et  en ce sens seulement , on peut dire que toute  Idée de civilisation ne se vaut pas mais aucune de celles qui existent de fait  ne peut se prévaloir d'avoir échappé au risque de barbarie , à commencer par  la nôtre qui , à juste titre,  se pose cette question !

( la récente polémique entre M.Guéant et M.Letchimy  ( Exercice : Comment dépasser la polémique ? Ou du drame du quiproquo !) repose au fond sur une confusion sémantique : M.Guéant parle de l'idéal de la civisation  tandis que M.Letchimy parle du fait de la civilisation :  à un premier niveau, ils ont tous les deux raison  car  ils ne parlent donc pas de la même chose !  Ce qui produit la polémique au delà du quiproquo c'est que M.Guéant confond dans son propos l'idéal et le réel , l'Occident y  apparaît comme le parangon de vertus .  C 'est pourquoi, si l'on relit attentivement  l'intégralité des propos de M. Letchimy, il est beaucoup moins relativiste qu'il n'y paraît , il ne confond pas l'idéal et le réel , il fait bien appel à l'universel, il rappelle seulement qu'il faut toujours  "balayer devant sa porte ").

Enfin, admettre   que la raison n’ait  qu’un usage théorique et  pas un usage pratique scellerait le destin de l’humanité par l’avènement inéluctable de la Barbarie  .   S’il est vrai que la raison théorique nous permet de faire toujours plus de découvertes scientifiques  et d’applications techniques  et si aucune raison ne se manifeste dans le domaine moral et politique,  elles seront forcément au service de l’expansion vitale et alors on verra en quoi consiste la supériorité de la civilisation …

Dégager les critères de ce qui fait la dignité de la personne , soumettre les applications de la technique aux exigences de la justice et du droit , voilà qui semble relever des exigences de la raison pratique aussi et même plus impérieuses que  celles de la raison théorique .

 

 

 

                         Conclusion :

 Ainsi, nous sommes en mesure d’établir les critères qui permettent de considérer qu’une culture peut légitimement exporter ses valeurs : c’est à la conditions qu’elles ne soient pas les siennes mais qu’elles soient celles de tous les hommes considérés comme raisonnables et libres . Autrement dit encore , ce qui fait la grandeur d’une civilisation , ce n’est évidemment pas sa taille, ni son pouvoir de nuire , mais sa capacité à se dépasser elle-même , à nier sa propre et naturelle  idiotie (particularisme) . Nous ne sommes pas des Anges, la découverte de l’universel passe nécessairement par le particulier et le danger c’est que ce particulier  confonde les deux sens du mot civilisation .Se croire arrivé au terme d’un idéal , confondre la civilisation comme horizon avec la civilisation comme fait nous entraîne toujours vers la Barbarie où plus banalement risque de nous faire tomber dans  l’imbécillité   revers de notre perfectibilité, et qui,  comme elle,  est sans limite,  aussi bien au niveau  de l’espèce que des individus . (cf ROUSSEAU Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes ) . L’enjeu est fondamental car il s’agit de choisir entre le dia-logue ou le monologue des cultures,  ce dernier débouchant souvent sur la guerre en raison d' un prétendu "choc des civilisations" . 

 

                         

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28 février 2012 2 28 /02 /février /2012 23:10

 

« Un principe de pédagogie que devraient surtout avoir devant les yeux les hommes qui font des plans d'éducation, c'est qu'on ne doit pas élever les enfants d'après l'état présent de l'espèce humaine, mais d'après un état meilleur, possible dans l'avenir, c'est-à-dire d'après l'idée de l'humanité et de son entière destination. Ce principe est d'une grande importance. Les parents n'élèvent ordinairement leurs enfants qu'en vue du monde actuel, si corrompu qu'il soit. Ils devraient au contraire leur donner une éducation meilleure, afin qu'un meilleur état pût en sortir dans l'avenir. Mais deux obstacles se rencontrent ici : 1° les parents n'ont ordinairement souci que d'une chose, c'est que leurs enfants fassent bien leur chemin dans le monde, et 2° les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour leurs desseins.

Les parents songent à la maison et les princes à l'État. Les uns et les autres ne se proposent pas pour but dernier le bien général et la perfection à laquelle l'humanité est destinée... Mais le bien général est-il une idée qui puisse être nuisible à notre bien particulier? Nullement! Car, quoiqu'il semble qu'il lui faille faire des sacrifices, on n'en travaille que mieux au bien de son état présent. Et alors que de nobles conséquences ne s'ensuivent pas! Une bonne éducation est précisément la source de tout bien dans le monde. »  

                                                                                    KANT, traité de pédagogie .

 

 

 

 

 

De nos jours, on conçoit volontiers l’éducation sous l’angle de la sociologie . On considère alors l’éducation comme un processus de socialisation où l’enfant acquiert progressivement « les normes et les valeurs » de la société à laquelle il appartient . Elle contribue ainsi fortement à la reproduction sociale . Faut-il concevoir l’éducation ainsi ? KANT ne le pense pas . Il se demande en effet ce qu’est l’éducation sur un plan non pas sociologique mais sur un plan philosophique , non pas descriptif mais normatif . Il ne s’agit pas pour lui de dire ce qu’est l’éducation mais ce qu’elle devrait être si l’on suit son concept ou son « principe ».

Il veut montrer en quoi consiste la difficulté pratique de réaliser cet idéal .

Ainsi il répond (thèse) que l’éducation est « la source de tout bien dans le monde », aussi bien du « général » que du « particulier », du public que du privé . L’éducation est la source, c’est-à-dire le moyen de réaliser « la destination » de l’homme  et si la difficulté soulevée existe, elle ne tient pas au concept d’éducation mais aux …éducateurs . le problème de l’éducation est donc un problème pratique beaucoup plus que théorique , c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on pourrait plutôt parler de difficulté .Mais elle est énorme !   Le problème est donc le suivant   : comment réaliser  la fin dernière de l’homme  si elle dépend de l’éducation et que celle –ci dépend de la qualité des éducateurs?  Comment éduquer les éducateurs ?

Ce texte pose une série de questions : l’éducation doit-elle s’adapter à la société telle qu’elle est ou telle qu’elle devrait être ? Si l’éducation est, comme le prétend KANT, ce qui permet de réaliser un idéal d’Humanité et qu’elle dépend des éducateurs tels qu’ils sont n’est-elle pas vouée à l’échec ? (Comment faire du droit avec du si tordu ? ) .L’éducation est-elle une affaire privée ou publique ?

 

 

Les étapes du texte sont les suivantes :

Dans un premier moment , de la ligne 1 à 4 , KANT énonce et sa thèse : l’éducation est un moyen qui vise une fin idéale .

 Comment,  en fait, c’est-à-dire dans les faits,  réaliser cet idéal ? Telle est la question qu’il pose ensuite et qui va orienter toute la réflexion .

 

De la ligne 4 à 10 , KANT part des faits qui rendent impossible dans la pratique la réalisation  de cette fin :  les éducateurs eux-mêmes ! Mais qui sont-ils ? les parents et les princes . L’éducation est affaire de famille mais aussi affaire politique : l’enfant sera adulte mais aussi sujet ou citoyen , c’est selon .

Peut-on contourner cet obstacle ?  Y-a-t-il une solution ? Peut-on au moins bien analyser les causes de cet échec et éventuellement y porter remède ?

KANT va proposer une solution théorique qui devrait, toute la question est là , avoir des effets pratiques voire pragmatiques sur les éducateurs . Puisque ce sont des éducateurs tels qu’ils sont que dépend la réalisation d’un idéal d’humanité , il faut que le réel et l’idéal se réconcilient , que l’intérêt particulier ( celui des parents et celui des Princes) se réconcilie avec l’intérêt général . Une telle solution est posée de la ligne  11 à la fin du texte .

 

KANT part du principe que cela est possible et  suggère   une solution concrète,  libérale même . Il n’y a pas de contradiction entre un intérêt particulier bien compris et l’intérêt général .Reste à en convaincre les éducateurs,en les éduquant comme il convient !

 

 

 

 

1er moment du raisonnement :

KANT énonce sa thèse à propos de l’éducation : On doit élever les enfants d’après « l’idée de l’humanité et de son entière destination » .L’éducation n’est pas un simple conditionnement de l’enfant pour l’adapter à la société telle qu’elle est mais un moyen pour que se réalise un idéal . KANT présuppose que l’espèce humaine n’est pas une simple espèce animale qui n’aurait qu’à obéir aux exigences de la survie mais une espèce morale qui doit obéir à d’autres exigences , celles que lui impose sa conscience et la faculté incontestable qu’il a de ne pas être entièrement assujetti à l’instinct . L'homme est une espèce  non pas naturelle seulement mais historique et perfectible .

Ainsi, l’éducation doit réaliser à l’échelle individuelle ce que l’histoire réalise au plan de l’espèce . Elle doit permettre le plein  développement des facultés individuelles et notamment « faire sortir » et « conduire » la raison , l’éduquer , non seulement dans son usage théorique mais plus encore pratique , c’est-à-dire moral . Eduquer , vient du latin ex-ducere qui signifie « conduire hors de », « faire sortir ». L’éducation n’est donc pas dans sa définition première  un dressage social qui viserait uniquement l’obéissance mais au contraire le fait de faire passer à l’acte ce qui réside en puissance chez l’enfant . Ce qui réside en puissance chez l’enfant , c’est la raison . On aura beau utiliser toutes les ressources de la techniques , le singe

le plus malin ne la possédera jamais .Pour mieux comprendre ce que l’on entend par l’acte et la puissance, on peut prendre une  comparaison. L’enfant est comme un gland, il peut donner un chêne ce que ne donnera pas un caillou ou une noix . il y a en puissance un chêne dans un gland . Mais en puissance seulement . Ce gland, s’il ne bénéficie pas de circonstances favorables pourra pourrir en terre . Analogiquement, si l’enfant ne bénéficie pas de circonstances favorables , c’est-à-dire d’une bonne éducation pourra ne donner que des fruits décevants ou pas de fruit du tout .

Précisément , dans le passage de la puissance à  l’acte, de ce que peut l’enfant à ce que l’adulte devrait être ,  se dresse une difficulté , car ceux-là mêmes qui permettent ce passage, qui « font sortir »,  « oublient » ou plus simplement ignorent  ce qu’elle est . Les éducateurs eux-mêmes ne produisent pas les bonnes circonstances, ne donnent pas le bon engrais .

KANT insiste tout de suite sur la difficulté concrète de ceux qui font des plans d’éducation , « ils devraient »,  sous-entendu, ils ne font pas .

On comprend alors que ce que KANT va tenter de faire c’est non seulement d’analyser l’obstacle ( c’est l’objet du 2ème moment du texte) mais de montrer qu’il est possible en fait de le contourner plus que de l’éliminer ( ce sera dans un 3ème et dernier moment ) .

 

2ème moment .

Les parents n’éduquent pas les enfants en vue de ce projet mais en vue de la vie comme elle va . Puisqu’il faut  que les enfants s’adaptent à la société telle qu’elle est , il ne sera pas nécessaire aux éducateurs d’être des exemples de vertu, il leur suffira de le paraître . Il faudra presque inconsciemment montrer aux enfants que l’apparence de la vertu vaut   mieux que la vertu elle-même, qu’en tout cas , elle a plus d’effet sur autrui . « Si corrompu » soit le monde, les éducateurs n’ont même pas envie de le changer un tant soit peu , ils constituent donc un obstacle considérable à la réalisation de ce projet par le souci qu’ils ont de l’immédiateté et pour ainsi dire de l’utilité . On peut le voir à tous les niveaux , y compris au niveau des savoirs :  peu de parents insistent pour que leurs enfants fassent du grec ou du latin, tous veulent du soutien en anglais ou en maths ! Qui sait pourtant si réciter des vers d’OVIDE ne les aidera pas plus à vivre dans quelques temps ?

Les parents pensent à l’avenir immédiat de leurs enfants . Peut-on vraiment leur en vouloir ?

Leur souci n’est-il pas légitime ? Qui oserait vraiment les contredire ? KANT lui-même ne les accuse pas , il leur reproche de ne pas avoir compris où était leur véritable intérêt .

Quant aux princes , ils ne veulent considérer les hommes que comme sujets  au service de leur intérêt particulier . Ils sont de ce fait beaucoup plus responsables que les parents  ils n’accomplissent pas ce qu’ils sont censés faire :  incarner l’intérêt général . Il font passer leur intérêt particulier pour le bien général ! L’allusion aux princes n’est donc pas fortuite car ce sont bien eux qui théoriquement devraient justement avoir pour mission de permettre la réalisation de cette destination finale de l’humanité .

 

3ème moment

Il ne s’agit donc que de réfléchir avec les éducateurs sur les véritables intérêts puisque c’est toujours par intérêt que les hommes agissent , du moins le commun des mortels .

Le bien dont il s’agit est tellement important , il est si évident qu’il ne peut pas y avoir de contradiction possible avec l’intérêt particulier sauf à confondre l’égoïsme avec l’intérêt particulier . Les parents savent bien dans leur égoïsme parental se sacrifier pour le bonheur de leurs enfants.  L’ intérêt pour leurs enfants , qu’il s’agisse de leur payer des cours particuliers  ou des voyages , montre bien que cela est possible . Il suffirait qu’ils comprennent que ce n’est pas tant de cours particuliers dont leurs enfants ont besoin que d’adultes exemplaires dans leurs conduites et dans leurs mœurs .

Quant aux princes ne devraient-ils pas arrêter de confondre l’intérêt général et l’intérêt particulier ?   Ils pourraient chercher à réaliser cette destination finale des hommes en oeuvrant par exemple  pour   leur instruction .  l’Ecole qui fait partie de l’éducation ne doit-elle pas être à la charge des Etats éclairés ?  Les princes  auraient à sacrifier sans doute certains menus plaisirs mais auraient la satisfaction de faire progresser la société tout entière !

Si chacun comprenait où est son véritable  intérêt, pour les parents de se sacrifier intelligemment  pour leurs enfants, pour les princes d’agir  pour que de sujets les hommes deviennent citoyens, alors la réalisation de l’idée d’humanité , c’est-à-dire l’intérêt général pourrait avoir lieu .

 

  Il ne s’agit donc pas de rêver à un état meilleur de l’humanité , il s’agit d’agir car une bonne éducation , c’est-à-dire une éducation conforme à l’idée d’une société meilleure est opérante « dans le monde », c’est-à-dire ici et maintenant ! 

 

A la question de savoir comment on peut réaliser l’idée d’humanité , KANT nous rappelle que le  moyen c’est l’éducation. Mais tout le problème de l’éducation c’est les éducateurs ! KANT a le grand mérite de nous le souligner  !  Reste en effet à savoir si ces derniers seront un jour eux-mêmes bien éduqués ! il nous interdit en tout cas de penser l'éducation comme une simple socialisation destinée à assurer la reproduction sociale .

 

 

 

 

 

 

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28 février 2012 2 28 /02 /février /2012 22:46

 

“La philosophie n’est pas l’art, mais elle a avec l’art de profondes affinités. Qu’est-ce que l’artiste? C’est un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue sans voiles. Voir avec des yeux de peintre, c’est voir mieux que le commun des mortels. Lorsque nous regardons un objet, d’ habitude, nous ne le voyons pas ; parce que ce que nous voyons, ce sont des conventions interposées entre l’objet et nous ; ce que nous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l’objet et de le distinguer pratiquement d’un autre, pour la commodité de la vie. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l’usage pratique et les commodités de la vie et s’efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste.  Mais ce sera aussi un philosophe, avec cette différence que la philosophie s’adresse moins aux objets extérieurs qu’à la vie intérieure de l’âme!

 

BERGSON

 

 

On définit communément l’artiste comme un être différent des autres hommes, grâce à sa capacité à sortir du réel , à faire surgir   des mondes issus de son imagination . Il serait par définition étranger à la quête de vérité fabriquant plutôt d’illusions et de trompe-l’œil . BERGSON va proposer dans ce texte un refonte profonde de cette vision ordinaire .

 « Qu’est-ce qu’un artiste ? » ,   est la question que se pose l’auteur . Il s’agit donc pour lui de proposer une définition  de l’artiste et une comparaison avec le philosophe . Peut-on les distinguer et en quoi ?

L’artiste c’est celui qui fait voir la réalité  nue et sans voiles.(thèse)  En ce sens l’artiste a un projet commun avec le philosophe qui, depuis Socrate  dénonce toutes sortes de faux –semblants et d’illusions !

En quoi les  œuvres d’art nous permettent d’accéder au réel ? Les différences entre l’artiste et le philosophe portent-elles uniquement sur les objets dont ils s’occupent ?

Le problème concerne donc le rapport de l’artiste à la réalité . L’artiste nous éloigne-t-il de la réalité ou nous en rapproche-t-il ? Peut-on en fin de compte  distinguer le philosophe et l’artiste ?

 

Les étapes du texte sont les suivantes:

Dans un premier moment BERGSON nous indique son intention   de confronter l’art et la philosophie . Il propose la définition de l’artiste comme d’un voyant  et énonce donc sa thèse .

 Dans un deuxième moment , l’auteur  nous  montre en quoi ce rôle est nécessaire puisque le commun des mortels est aveugle.

Enfin dans une ultime étape , il précise comment l’artiste peut faire voir et en quoi par conséquent il est philosophe .

 

 

1er moment

BERGSON commence par une affirmation surprenante, tellement elle semble aller de soi : «  la philosophie n’est pas l’art » . On définit la philosophie comme la recherche du savoir , l’art n’apparaît pas du tout comme cela mais plutôt comme la recherche de belles formes . Qui plus est, le philosophe s’adresse à la raison tandis que l’art s’adresserait plutôt à la sensibilité . Pour BERGSON , cette opposition est superficielle : « ils ont de profondes affinités » .

Il s’agira donc pour l’auteur d’expliquer en quoi cette différence n’est que de surface .

 

Pour répondre à cette question , BERGSON va s’interroger non plus sur les concepts mais sur les personnes . Ce changement de perspective nous indique que l’argumentation va se faire au plus près de la réalité concrète et non au niveau des essences ou des concepts .

Voir , ce n’est pas simplement recevoir des impressions sensorielles , en fait ici c’est regarder . On oppose communément regarder et voir . On peut voir sans regarder ou regarder sans voir , ce qui compte c’est l’attention qu’il y a à voir ou regarder vraiment  quelque chose .

Mais pourquoi, ne sommes nous plus capables de voir ? C’est ce à quoi va répondre maintenant BERGSON .

 

2ème moment :

Lorsqu’on regarde sans voir , on ne fait pas attention aux choses , elles ne sont pas vues pour elles mêmes mais , parce que prosaïquement , nous faisons autre chose et sommes préoccupés ailleurs  . L’artiste serait donc celui qui serait capable de voir , c’est-à-dire de s’intéresser aux choses en elles –mêmes .  Ainsi voir vraiment serait regarder comme si c’était la première fois, d’un œil neuf car ce qui entrave notre regard c’est l’habitude .

L’habitude contrairement à l’instinct est acquise  mais , comme l’instinct il ne s’agit que de s’adapter aux exigences de la survie . Quand nous avons acquis une habitude , nous faisons les choses de façon quasi automatique , sans y penser . Savoir conduire, jouer du piano , c’est avoir l’habitude de tout cela et d’ailleurs le faire bien mais c’est aussi forcément ne plus s’interroger sur ce qui autrefois n’allait pas de soi .  Mais l’habitude est indispensable pour qui veut être efficace , c’est pourquoi nous ne voyons les choses que par l’usage que nous en faisons et les mots qui sont des conventions , donc aussi des habitudes , nous empêchent d’accéder au réel . Entre le réel et nous , il y a la toute puissante  recherche de l'utilité .

C’est pourquoi, il faut une force purifiante, BERGSON parle de  « mettre feu » à toutes ces strates qui nous empêchent de regarder . Il faut un effort tout particulier pour aider le commun des mortels à voir ce qu’ils ne voient plus. L’artiste n’est donc pas tant celui qui enjolive ou qui embellit  la vie mais qui nous force à tourner le regard vers les choses telles qu’elles sont et non selon nos intérêts du moment . On a même le sentiment  que  l’art n’a pas de relation immédiate à la beauté mais plutôt à une forme d’ascèse . Il faut viser non des fioritures mais un certain dépouillement «  la réalité même », « directement », « rien » ne doit s’interposer .

Il faut en finir avec les apparences !

 

3ème moment

On comprend pourquoi l’art et la philosophie ont de profondes « affinités ». Le philosophe  est présenté dans la tradition et non sans raison comme celui qui impose un examen sur nos pensées , afin que nous puissions trier ce qui est valable et ce qui n’est que préjugé .

La différence tiendrait aux objets plus qu’à la vocation . L’artiste nous apprendrait à voir le monde extérieur et non le monde intérieur . Il s’agirait de savoir si cette distinction est vraiment pertinente dans la mesure où les deux risquent fort de nous « bousculer dans nos habitudes ».

 

Au problème de savoir si l’art nous éloigne ou non du réel , on voit bien que la thèse de BERGSON s’inscrit totalement en faux par rapport à la conception ordinaire de l’artiste qui veut que celui –ci dispose d’un art consommé du trompe-l’œil  et de l’enjolivement

L’artiste-peintre n’est pas un décorateur pour rendre nos maisons plus jolies mais quelqu’un qui nous jette dans un monde qui peut-être hostile .

 

conférence pour aller plus loin :

 

 

 

 

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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 11:04

DCP 3563

Egise du Marin, XVIII ème siècle , Martinique .

 

 

LA RELIGION :  Qu’est-ce qui motive la croyance religieuse ?

 

RQ :  Le sujet se présente de façon non dialectique mais on peut grâce à un travail d’analyse sur les mots découvrir le paradoxe . Ici le verbe motiver est très riche puisqu’il donne deux substantifs : mobile et motif, or ces mots nous renvoient à l’opposition du désir et de la raison, on peut donc, ici aussi, transformer ce sujet en sujet dialectique . Il nous renvoie au problème de la foi et de la raison .

 

La croyance religieuse désigne à la fois, objectivement,  un contenu qui nous indique comment penser et comment vivre mais aussi, subjectivement,  une certaine façon d’approuver ce contenu , on y croit justement , c’est-à-dire , qu’on y adhère volontairement . Précisément, qu’est-ce qui motive la croyance religieuse ? Il s’agit de savoir pourquoi on adhère à une croyance religieuse , plus précisément, quelles sont les causes qui pousse  une conscience à croire . 

A priori, la croyance est confiance , une adhésion qui se passe de preuve .  Si je commence à réclamer des preuves de la confiance que j'ai en quelqu'un ou quelque chose, c'est que je suis méfiant !

Il y aurait alors essentiellement des mobiles d’ordre affectif, relevant plus du désir que de la raison.

Toutefois, la croyance religieuse s’efforce de se justifier et de s’appuyer sur la raison , la théologie rationnelle en est l’exemple majeur . La Foi montre par là qu’elle a de solides motifs .

Le problème , concerne donc le fondement de la croyance religieuse, le rapport de la foi et de la raison : la croyance religieuse repose-t-elle sur des mobiles ou sur des motifs ?

Si on considère que la croyance ne repose que sur des mobiles, alors on lui interdit de discuter avec la raison et la philosophie mais on risque ainsi de la livrer au silence dont on ne sait jamais s’il na va pas mener à la violence . Si on considère qu’elle a de bonnes raisons et même qu’elle est rationnelle, alors elle peut discuter et dialoguer avec la philosophie mais on risque de la nier comme croyance . L’enjeu serait de savoir si la croyance peut discuter avec la raison sans se nier comme croyance et sans risquer un silence toujours suspect .  Se pourrait-il qu’il fût  raisonnable de croire ?

 

 

 

 

1 Les mobiles de la croyance :

 

A la limite , et puisque la foi se passe de preuve, on peut adopter le point de vue de St AUGUSTIN ou de TERTULLIEN :  "Credo quia absurdum", "je crois parce que c'est absurde " . On doit assumer alors une attitude fidéïste susceptible de couper court à tout dialogue avec la raison , avec le non-croyant mais aussi avec soi-même . Mais cela implique un renoncement incompatible avec la définition de l'homme comme "animal raisonnable". Il est nécessaire de forcer le croyant à s'expliquer , quitte à ce que les arguments soient insuffisants .

 

 

 

                        1.1 Des mobiles conscients :

 

            Le plus importants de tous : la peur de la mort , les rites funéraires sont apparus avant même les manifestations de l’art . Les préhistoriens s’accordent à dire que l’homme de  Neanderthal, qui n’est donc pas encore l’homo sapiens, enterre ses morts . L’existence de ce rite marque à leurs yeux un passage essentiel de l’animalité à l’humanité .  On peut  penser que Néanderthal se représente la mort et sans doute ne l’accepte pas sans l’idée d’une continuïté dans un  Au-Delà .

 

Texte N°1

« Mille fois et dans mille volumes on a dit que le culte des ancêtres morts est ce qui suscite communément les religions primitives, et il convient rigoureusement de dire que ce qui distingue le plus l’homme des autres animaux, c’est qu’il garde, d’une manière ou d’une autre, ses morts sans les abandonner à la négligence de notre mère la terre féconde qui enfante tout ; c’est un animal garde-morts (…)

Quand on ne bâtissait pour les vivants que des cabanes de paille ou de terre que les intempéries ont détruites, on élevait des tombeaux aux morts, et la pierre trouva son emploi pour les sépulcres avant de servir aux habitations ; les maisons des morts, et non celles des vivants, ont par leur solidité vaincu les siècles ; non les auberges de passage, mais les demeures permanentes. »

                                                 Miguel de UNANUMO , le sentiment tragique de la vie .1912

 

 

Pourquoi cette peur ? Pourquoi ces rites ?

 

Texte N°2

 

   «  Constatant que tout ce qui vit autour de lui finit par mourir, il est convaincu qu’il mourra lui-même. La nature, en le dotant d’intelligence, devait bon gré mal gré l’amener à cette conviction. Mais cette conviction vient se mettre en travers du mouvement de la nature. Si l’élan de vie détourne tous les autres vivants de la représentation de la mort, la pensée de la mort doit ralentir chez l’homme le mouvement de la vie. Elle pourra plus tard s’encadrer dans une philosophie qui élèvera l’humanité au-dessus d’elle-même et lui donnera plus de force pour agir. Mais elle est d’abord déprimante, et elle le serait encore davantage si l’homme n’ignorait, certain qu’il est de mourir, la date où il mourra. L’événement a beau devoir se produire : comme on constate à chaque instant qu’il ne se produit pas, l’expérience négative continuellement répétée se condense en un doute à peine conscient qui atténue les effets de la certitude réfléchie. Il n’en est pas moins vrai que la certitude de mourir, surgissant avec la réflexion dans un monde d’êtres vivants qui était fait pour ne penser qu’à vivre, contrarie l’intention de la nature. Celle-ci va trébucher sur l’obstacle qu’elle se trouve avoir placé sur son propre chemin. Mais elle se redresse aussitôt. À l’idée que la mort est inévitable elle oppose l’image d’une continuation de la vie après la mort  ; cette image, lancée par elle dans le champ de l’intelligence où vient de s’installer l’idée, remet les choses en ordre ; la neutralisation de l’idée par l’image manifeste alors l’équilibre même de la nature, se retenant de glisser. Nous nous retrouvons donc devant le jeu tout particulier d’images et d’idées qui nous a paru caractériser la religion à ses origines. Envisagée de ce second point de vue, la religion est une réaction défensive de la nature contre la représentation, par l’intelligence, de l’inévitabilité de la mort. »

                                                BERGSON les deux sources de la moral et de la religion .

 

Cette justification de la croyance  par la peur de la mort n’inaugure que la religion close mais il est évident que c’est aussi là que réside la justification de l’idée même de religion .  Il serait même possible d’arrêter là notre réflexion . Mais si c’est la peur qui motive , on est donc loin de la raison, on pourrait même envisager que la religion soit l’expression de mobiles inconscients .

 

                        1.2 des mobiles inconscients :  La religion comme illusion .

 

                         a) l’interprétation freudienne .

Texte N°3

 

    "Les idées religieuses, qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées non réalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une existence future fournit les cadres du temps et le lieu où les désirs se réaliseront. Des réponses aux questions que se pose la curiosité humaine touchant ces énigmes : la genèse de l'univers, le rapport entre le corporel et le spirituel, s'élaborent suivant les prémisses du système religieux. Et c'est un énorme allègement pour l'âme individuelle de voir les conflits de l'enfance - conflits qui ne sont jamais entièrement résolus - lui être pour ainsi dire enlevés et recevoir une solution acceptée de tous. [...]

    Nous le répéterons : les doctrines religieuses sont toutes des illusions, on ne peut les prouver, et personne ne peut être contraint à les tenir pour vraies, à y croire. Quelques-unes d'entre elles sont si invraisemblables, tellement en contradiction avec ce que nous avons appris, avec tant de peine, sur la réalité de l'univers, que l'on peut les comparer - en tenant compte comme il convient des différences psychologiques - aux idées délirantes. De la valeur réelle de la plupart d'entre elles il est impossible de juger. On ne peut pas plus les réfuter que les prouver."

 

 

 

Freud, L'Avenir d'une illusion (1927), trad. M. Boniface, Paris, éd. PUF, coll. Quadrige, 2e

éd. 1996, pp. 43-46.

 

Qui a besoin de religion ? Telle est la question du texte et non pas : la religion est-elle vraie ? Il s'agit d'interpréter, non de réfuter .Il s'agit de dégager le sens profond de la religion, non de dire qu'elle est fausse .

 

La réponse de FREUD : 1,   celui qui a besoin ou désire (ici la distinction n’est pas fondamentale)   d’être protégé , qui a besoin, 2 ,  du règne de la justice et 3,   celui  qui veut des réponses à ses questions métaphysiques .

 

La religion répond à un désir, un désir tellement fort qu’il engendre la croyance en la réalisation de ses désirs . Autrement dit la religion est une illusion .

Une illusion se présente comme une erreur dans la mesure où dans les deux cas , on est dans l’ignorance . Mais l’erreur c’est ce qui se donne pour la vérité, tandis que l’illusion , c’est ce qui se donne pour la réalité. C’est pourquoi, l’illusion est si difficile à combattre . On peut en effet rectifier une erreur, mais l’illusion persiste malgré la rectification . Ainsi, nous savons que le soleil tourne autour de la terre, mais nous sommes toujours victimes de l’illusion. Que nous soyons ou non prix Nobel d’astronomie, nous voyons le soleil tourner . L’illusion du géocentrisme est exemplaire car si on l’explique , on comprend que c’est notre position dans l’espace et la précipitation de notre jugement qui l'engendre. Nous identifions la perception que nous avons du réel avec le réel , nous confondons ce que nous voyons avec ce qui est. Par extrapolation, on peut considérer la religion comme une extériorisation  de ce que nous ressentons sur les choses, c’est pourquoi le désir semble être la source de nos illusions . Nous prenons nos désirs pour des réalités !!!  On comprend pourquoi FREUD ne peut réfuter la religion mais plutôt chercher montrer à quel désir elle répond .

Mais cela   le rend  aussi assez pessimiste : comment combattre une illusion, comment détruire un désir ?

On comprend pourquoi celui qui possède un savoir et qui n’est plus dupe d'une illusion  ne peut amener l'ignorant au savoir avant que ce dernier n'ait pris consncience de son ignorance  ! Celui qui est dans l’illusion croit qu’il sait , alors qu’en fait il ignore qu’il croit et donc ignore qu’il ignore ! Mystère de l'enseignement ! On ne réfute pas un désir ! 

 

             b) l’interprétation marxiste :

 

Texte N°4

Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : L'homme fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l'homme qui, ou bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est déjà reperdu. mais l'homme n'est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu'ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C'est la réalisation fantastique de l'essence humaine, parce que l'essence humaine n'a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde,dont la religion est l’arôme spirituel.

La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans coeur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple.

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé a une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole.

MARX

 

 

  La problématique marxiste est évidemment différente mais la démarche est similaire , là encore , il ne s’agit pas de réfuter la religion mais de montrer à quelle nécessité elle répond .

La question est donc la même : Qui est celui qui a besoin de religion ?

La réponse : C’est celui qui vit dans une société qui a besoin de religion . Là encore , l’attaque n’est pas directe . « la religion , c’est l’opium du peuple » .

 L’opium n’est pas une drogue au sens d’une substance illicite destinée à nous faire voir « des éléphants roses » , mais un anesthésiant . L’avantage d’un anesthésiant c’est qu’il nous fait supporter la douleur, mais son inconvénient c’est qu’il cache la vraie cause de la maladie et ne traite que le symptôme .

Si nous voulons guérir , il faut arrêter l’anti-douleur afin que nous puissions faire le bon diagnostique et nous attaquer aux vraies causes . Ainsi ce n’est pas la religion qui est cause de la maladie , elle n’en est que « l’arôme » . La critique ne s’adresse pas tant à la religion qu’à une société qui a besoin d’anti-douleur !  (religion).

Si l’on supprime cet anti-douleur, certes on souffrira mais on  révèlera les vraies causes , celles de l’exploitation de l’homme par l’homme et on pourra enfin adopter la thérapie idoine .

 

Or,  une société qui a besoin de religion, qui donc la produit, a mis le monde à l’envers .

Contrairement à la pensée commune , ce ne sont   pas les idées qui mènent le monde, mais le monde qui mène les idées . Dans le  langage de  MARX , « ce n’est pas la conscience qui détermine la vie mais la vie qui détermine la conscience », si l’on veut comprendre ce que les hommes pensent, il faut partir de leurs conditions concrètes d’existence et non de la représentation qu’ils s’en font . Ce renversement causal a pourtant une finalité cachée, celle de jeter un écran de fumée sur la réalité de la domination d’une classe sociale sur une autre.

Ainsi, la religion fait vraiment partie de l’Idéologie , en ce sens qu’elle met le monde à l’envers , comme dans une chambre obscure de vieil appareil photographique, moyennant quoi, elle est un discours dont la forme est universelle mais  qui sert,  en réalité, les intérêts de la classe dominante .

Se passer de l’anesthésiant de la religion nous permettra de révéler les vraies causes de la maladie en mettant  le monde dans le bon sens : c’est bien « la vie qui détermine la conscience », les conditions matérielles d’existence et la religion est destinée à maquiller ce rapport .

 

 

Ce type de critique ne réfute qu’indirectement la religion, il ne s’agit pas de montrer que c’est une erreur mais une illusion. Elle correspond à un désir. Ce désir n’est pas absurde , c’est même la condition humaine, mais c’est la satisfaction dans la religion qui est illusoire.

La religion est donc un mauvais remède à une vraie maladie . Il ne s’agit pas de ridiculiser le croyant mais plutôt de voir pourquoi il a besoin de croire : ainsi, l’attaque n’est pas philosophique mais psychologique . Il s’agit non pas d’expliquer mais d’interpréter la religion , c’est-à-dire de dégager le sens caché du sens apparent des discours du croyant .

Ces critiques , si originales et pertinentes soient-elles comportent pourtant des limites .

La réfutation est indirecte : ce n’est pas le contenu de la croyance qui est visé mais l’attitude du croyant . Enfin , elles sont  arrogantes, elles présupposent que le croyant ne sait pas ce qu’il dit et que seul , le psychologue des profondeurs comprend le sens profond des propos du croyant .

 

On voit souvent cette attitude qui consiste , pour désamorcer un combat politique , à montrer les difficultés psychologiques  de ceux qui les défendent .  Février 2012, les propos de M. Letchimy (député de la Martinique)  contre M. Guéant  ont été ramenés à des propos d’un député Antillais blessé , comme si , au fond, il ne savait pas ce qu’il disait . C’est la mort de tout dialogue !

 

Or une telle critique n’est pas scientifique . K. POPPER rappelle que la psychanalyse comme le marxisme ne sont que des herméneutiques et pas des sciences .

Ne pourrait-on écouter ce que le croyant dit avant d’interprèter ses propos ?

 

 

2 Les motifs de la croyance : La raison au secours de la foi .

 

                        2.1 la théologie  . (de théos, Dieu et logie, discours, étude rationnelle)

 

RQ : Sans entrer dans des considérations trop spécialisées, la théologie est née d’une difficulté liée à une prise de conscience déstabilisante :

  Les théologiens découvrent au 13 ème siècle les philosophes grecs « païens » ,  qui ne s'appuyent  que sur la raison alors que la  foi en J.C,  religion révélée,  exige au contraire une soumission de l’esprit critique . Le risque est grand en effet d’identifier la religion à la marque d’une faiblesse d’esprit .

D’où le PB suivant : ne pourrait-on pas mettre la philosophie au service de la religion, la raison au service de la foi ?   .

 

                        2.2 les preuves de l’existence de Dieu .

 

RQ : Prouver, c’est établir la vérité d’une proposition mais il y a au moins 3 types de preuve .

La plus grande des preuves, c’est la démonstration. On rencontre exclusivement dans la logique et les mathématiques .

Démontrer , c’est montrer la nécessité d’une conclusion lors d’un raisonnement et ou par la simple application du principe de non-contradiction . Ainsi on peut considérer comme nécessaire la fameuse conclusion du syllogisme selon lequel Socrate est mortel .

                                    Tous les hommes sont mortels

                                    Or Socrate est un homme

                                    Donc Socrate est mortel

Cette dernière proposition est nécessaire car « elle ne peut pas ne pas être, le contraire impliquant contradiction ».

Ainsi , si je ne me donne qu’un concept, celui de corps,par exemple,  je ne peux pas ne pas lui attribuer l’extension, si je l’analyse,  sans avoir un concept littéralement impensable . En revanche, ne sera pas compris dans l’analyse du concept qu’il soit pesant : Un corps sans extension est impensable , pas un corps non pesant .

Pour votre gouverne personnelle, il existe d’autres types de preuves mais dont la validité n’est pas aussi ferme . Ainsi, lorsque l’esprit s’affronte au réel , il dispose plutôt de l’expérimentation, c’est le domaine de toutes les autres sciences .

Quant à l’histoire, sa preuve, elle qui ne peut ni démontrer au sens précis, ni (et encore moins) expérimenter,  doit en revanche fournir des documents et recourir d’ailleurs aux autres sciences pour établir leur authenticité .

 

De quel type de preuve va se servir la théologie ? Il y en a principalement 3 , je vous les présente dans l’ordre habituel : de la plus solide à la plus fragile .

De la preuve logique et mathématique !

 

                                    a) la preuve mathématique ou argument ontologique .

 

Dieu est un être parfait

Or l’existence est une perfection

Donc,  Dieu existe

 

 C'est tout !

Autre formulation

« [...] je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui, et partant qu'il existe véritablement : non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu'elle impose aux choses aucune nécessité, mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l'existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. Car il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection), comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes. »  DESCARTES

 

 

 

                                    b) argument cosmologique ou argument  « par la contingence » du monde.                                                                                                                                                                    

 

 

 On part de la causalité efficiente ( cf les 4 causes d’Aristote : cause matérielle, cause formelle, cause mécanique ou efficiente et cause finale) .

Elle consiste à remonter de l’existence du monde considéré comme contingent, à celle de Dieu, défini comme cause première et nécessaire de tout ce qui existe.On peut formuler ainsi cette preuve : le monde considéré aussi bien dans chacun des êtres qui le composent que dans leur assemblage, est contingent, c’est-à-dire qu’il existe mais pourrait aussi bien ne pas exister, n’étant pas parfait, il n’a pas en lui-même sa raison d’être ; il faut donc qu’il existe par la vertu d’un autre être, distinct de lui et qui soit, comme disait les scolastiques, « cause de soi »,c’est-à-dire qui ait en lui-même sa raison d’être, qui soit l’Etre nécessaire .

 

                                    c) argument téléologique ou par les causes finales

 

 On part ici de la nécessité de recourir à la cause finale . On  prend pour point de départ l’ordre harmonieux, la finalité qui, dit-on, règne dans la nature. Celle –ci nous apparaît comme un système de moyens, et de fins.Or, tout système de ce genre suppose une cause intelligente. La nature ne saurait avoir qu’une cause intelligente , elle est donc l’œuvre non pas tant ici d’un créature d’ailleurs que d’un brillant architecte . Cette preuve est la plus populaire , c’est celle qu’utilisent tous ceux qui font du prosélytisme !

 

 

 

T°  limites de ces preuves rationnelles :

1° Le philosophe les réfute .

2° mais  le croyant aussi !

 

            1°La réfutations des preuves de l’existence de Dieu . KANT. CRP . 1781

                        a’) On ne peut déduire analytiquement du concept que ce qui y est implicitement contenu ; or dans l’idée ou le concept de Dieu, n’est pas contenu l’existence réelle mais seulement sa possibilité logique . Dieu , en effet,  est possible , autrement dit il n’est pas impensable. Mais qu’une chose ne soit pas contradictoire , ne signifie pas qu’elle existe ! Pour reprendre un exemple célèbre de KANT en le modernisant quelque peu : je peux aisément définir, c’est-à-dire donner l’essence d’une « carte infinite » : carte de paiement avec laquelle on peut retirer des sommes considérables, mais je ne vais pas pour autant la faire surgir de mon porte-feuille ! De la pensée, ou de l’essence d’une chose à son existence , la conséquence n’est pas bonne . Une existence ne se prouve pas , elle s’éprouve ! j’ ai bien l’Idée de Dieu mais ce n’est qu’une Idée .

 

                        b’) cette preuve dit KANT recèle toute « une nichée de sophismes ».

Il n’est pas évident que le monde soit contingent , c’est même ce qui fait question .

Pourquoi s’arrêter dans la série des causes ?

Rappelons cet argument : ce qui existe dans le monde ne saurait avoir sa raison d’être en lui-même. Si toutes les choses et tous les êtres existent de façon contingente, il faut assigner à chacun d’eux ou à leur état, une cause déterminée . En tant que cette cause ou cet état sont de nature empiriques (donnés dans l’expérience) , ils doivent eux-mêmes êtres considérés comme effets d’une cause ou d’un état antécédents, et aisi de suite à l’infini. De sorte qu’il est nécessaire de situer la raison d’être suprême de tout le contingent .

 

Nous posons spontanément, du fait de notre intelligence, une relation causale entre les phénomènes, nous disons que x est l’effet de y et y  donc est  cause.

Mais y n’est pas une cause absolue, y est à son tour effet de z.

Qui lui-même est l’effet d’une cause antérieure …

Ainsi notre esprit est-il renvoyé de cause en cause sans pouvoir se « reposer » sur une cause qui ne serait pas l’effet d’une cause antérieure , mais qui serait cause absolue , cause d’elle-même en quelque sorte .

Cette exigence de l’esprit nous la trouvons justement dans l’idée d’un être nécessaire. Tout le problème est là , nous passons sans nous en rendre compte d’une observation physique à une exigence de l’esprit , mais nous dépassons la physique et faisons de la méta-physique : par définition cette cause ultime de toute choses ne saurait faire l’objet d’une expérience , être observable dans le cadre spatio-temporel , elle n’est justement plus cosmologique !  L’existence d’un être nécessaire est au fondement  de l’argument cosmologique de sorte que ce dernier repose en fin de compte sur la preuve ontologique qui vient d’être réfutée …

 

                        c’) L’ordre du monde mais quel ordre ?

  _On peut se passer de cette idée :

 

L’idée de finalité est une idée assez naïve en fin de compte quand on prétend l’appliquer à la nature . C’est en effet une idée empruntée à l’action humaine et plus précisément à la technique . « Quand on considère un objet fabriqué, par exemple un coupe-papier »cf texte SARTRE ( Eh oui, il faut se souvenir de tous vos cours !) , on fait le raisonnement suivant : c’est pour couper le papier que cet objet est apparu, autrement dit, sa fonction : ce à quoi l’objet va servir précède et explique l’existence de l’objet, les matériaux nécessaires, sa forme etc . La conception précède et règle l’exécution !

Que faisons nous quand nous prétendons que « c’est pour voir que nous avons des yeux » ?

Nous prétendons traiter la nature par analogie avec la technique mais il y a en effet quelque chose de totalement dépassé dans cette approche . La science moderne n’a cure des causes finales , elle ne s’occupe que des causes mécaniques , voire même , se réduit  à la détermination de loi , c'est-à-dire à la simple concomitance des phénomènes . Elle dit seulement : c’est parce que nous avons des yeux que  nous voyons ! C’est l’organe qui crée la fonction , ce n’est pas la fonction qui crée l’organe et franchement comprendre les causes de la vision à plus fait pour  nos yeux que tous ceux qui disent qu’ils sont beaux !

La science moderne pour dire les choses très simplement se contente de répondre à la question : « comment » et ne répond pas à la question  « pourquoi » !

 

RQ : De là à dire que cette question n’a pas de sens, alors nous franchissons les limites de la science pour aller vers le scientisme ( thèse selon laquelle, un jour, toutes les questions qui portent sur le « pourquoi », questions métaphysiques ou existentielles auront une réponse de type physico-chimiques ). Cette attitude est  tout aussi  bornée d’ailleurs que   l’obscurantisme ( qui prétend avoir plus de légitimité que la science pour répondre au « comment » : il y a eu l’affaire Galilée mais  malheureusement   l’histoire se répète : les créationnistes aux US . 

Les deux risques existent aujourd’hui .

 

_Cette idée est loin d’être évidente !

 

« L’ordre de la traite négrière » ?  Celui  de la « solution finale » ? «  des Khmers rouges » ou celui du président syrien ? …

 

2° Plus étonnant peut-être le croyant les ridiculise !  elles sont inutiles : elles n’ont jamais convaincu , ni converti personne . Qui plus est, elles sont vaines : elles ne sauvent personne !

 

« S’il y a un Dieu il est infiniment incompréhensible, puisque n’ayant ni partie,ni bornes, il n’a nul rapport à nous.Nous sommes donc incapables de connaître ne ce qu’il est, ni s’il est . »

le croyant PASCAL nous dit qu’une telle entreprise , prouver l’existence de Dieu est contraire à la vraie foi .

 PB : si les mobiles , comme les motifs théoriques se révèlent illégitimes ou  incapables de rendre raison de  la croyance religieuse , ne devons nous pas reprendre toute la question à nouveau frais et réexaminer notamment ce qu’on entend par là ?

 

 

 

3 La croyance entre raison pragmatique et raison pratique .

           

            Qu’appelle-t-on vraiment croyance ?

 

                        3.1 opinion, croyance, savoir .   

 

« On doit distinguer la vérité qui est le caractère objectif  de la connaissance ; le jugement par lequel queque chose est représenté comme vrai_ le rapport à un entendement et par conséquent à un sujet particulier_est subjectif, c’est l’assentiment . » KANT , Logique    (consentement, approbation à une proposition )

   .

Cette dernière comporte des degrés et l’on passe d’une certitude absolue liée à  la conscience   de la nécessité de ce que nous affirmons ( par ex , les propositions logiques et mathématiques) , nous avons alors un savoir et nous le savons ,  à l’incertitude qui implique que nous avons conscience du caractère contingent de ce que nous affirmons .

 Mais l’incertitude est de deux sortes : nous pouvons avoir une incertitude liée à la fois au contenu et à la façon dont nous y  adhérons .  C’est le cas de l’ opinion . « Je crois qu’il fera beau demain » : 1 je n’ai aucune preuve de ce que j’avance et 2 moi-même je n’y crois pas trop : « je crois que » veut dire : je n’ai pas de certitude . Kant l’appelle jugement problématique .

A l’opposé, il y a  une position qui concilie « l’incertitude objective avec la certitude subjective », c’est ce qu’on appelle la foi . Celui qui a cette foi ne dit pas qu’il croit que Dieu existe, il dit : « je crois EN Dieu ». Croire QUE et croire EN n’ont en effet pas le même sens ! Celui qui croit "EN" , quelle que soit d’ailleurs l’objet de sa croyance , son Dieu ou son avenir, n’a pas besoin de preuve ou d’une situation économique idéale . Il "y" croit , cela  suffit   . Celui qui croit « EN » sait qu’il croit mais cela n’est pas une faiblesse , on n’en verra que mieux la force de ses convictions .

Exemples donnés par KANT lui-même pour distinguer ces différents degrés de certitude :

 

             je n’ai qu’une opinion si je vis comme si j’étais immortel : je crois que je sais .

            J’aurais un savoir si je savais qu’il y a une vie après la mort : je sais(que je sais).

            J’ai une croyance dans la mesure où je crois que je suis immortel : je sais que je crois.

 

L’opinion , la croyance le savoir portent sur des connaissances spécifiques.On ne peut pas parler d’opinion scientifique , quant aux objets de la croyance, ils  sont assumés par elle  pour des raisons morales et concerne les « choses dont je suis certain que le contraire ne saurait être prouvé ».

KANT rajoute dans une note : « la croyance n’est pas une source particulière de connaissance . C’est une sorte d’assentiment dont on a conscience qu’il est imparfait ,(…) elle diffère de l’opinion non par le degré , mais par la relation qu’elle entretient, en tant que connaissance avec l’action. Ansi un commerçant pour entreprendre une affaire a besoin non seulement d’avoir l’opinion qu’il a quelque chose à y gagner, mais de le croire, c’est-à-dire que son opinion soit suffisante pour qu’il se risque dans une entreprise incertaine. »

De cette remarque ,et des exemples donnés par KANT ,  nous pouvons dégager encore deux bonnes « raisons »  de croire, en tout cas de continuer faire  discuter  le croyant avec l’incroyant .

 

En effet, les exemples donnés par KANT renvoient à l’ efficacité de la croyance, à , comme on dit, la force des convictions  . On dit souvent qu’il suffit d’ « y » croire pour réussir . Qu’il s’agisse de l’efficacité d’un placebo, du « mental » d’un sportif de haut niveau , des prophéties auto-réalisatrices (effet Œdipe) , c’est toujours  « la foi qui soulève les montagnes ».  Ainsi , il y aurait une autre façon d’envisager la croyance , une façon , disons ,non plus théorique mais  pragmatique et morale .

C’est peut-être ainsi qu’il faut  envisager désormais la justification de la  croyance et comprendre le  sens du  pari de PASCAL .

Que gagne-t-on à croire, quelle est l’utilité de la foi ? Parier c’est mettre à l’épreuve cette croyance  par une comparaison . Pour reprendre ce passage ardu, rien ne vaut le livre très original et très savant de Denis MOREAU  dont je vous recommande vivement la lecture : les voies du Salut . 2011

 

            3.2 Faut-il parier sur l’existence de Dieu ?

 

"Examinons donc ce point, et disons : « Dieu est, ou il n'est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre ; par raison, vous ne pouvez défaire nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n'en savez rien.

 

Non ; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier.

 

Oui, mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter.

 

Cela est admirable. Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop.

 

Voyons. Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gager ; mais s'il y en avait trois à gagner, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie de bonheur. Et cela étant, quand il y aurait une infinité de hasards dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux, et vous agiriez de mauvais sens, étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d'une infinité de hasards il y en a un pour vous, s'il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner. Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti : partout où est l'infini, et où il n'y a pas infinité de hasards de perte contre celui de gain, il n'y a point à balancer, il faut tout donner."

 

PASCAL ,  Pensées (1670), extrait du fragment 233 dans l'édition L. Brunschvicg.

 

Résumons :

 

           

Le pari de PASCAL : tableau extrait de l’oeuvre de D. MOREAU :  Les voies du Salut

Pari opéré

Conséquence en cette vie

Conséquence après cette vie

1 je parie « Dieu existe »( j’ai raison)

Je mène une vie pieuse :quelques jouissances mais peu nombreuses( quantifiables par ex comme 10)

« infinité de vir infiniment heureuse », « Eternité de vie et de bonheur », gain infini : « vous gagnez tout »

2 je parie  « Dieu existe »(et j’ai tort)

Même chose que dans le cas précédent

Néant= 0 « vous ne perdez rien »

3 je parie »Dieu n’existe pas »(et j’ai raison)

Je mène une vie de libertin, de « divertissement » :nombreuse jouissances( quantifiables par ex comme 100, 1000, ou même 10000 !)

Néant=0 »vous ne perdez rien »

4 je parie « Dieu n’existe pas « (et j’ai tort)

Même chose que dans les cas précédent .

Eternité malheureuse. Perte infinie(quelque chose comme « vous perdez tout », « infinité de vie infiniment malheureuse »)

 

 

 
 

 

 

 

 Ce pari nous étonne aujourd’hui et il faut mettre au jour ce qu’il présuppose , le problème dont le pari est la solution .

c'est le problème du mal .

 

                        3.3 le problème du mal .

 

le croyant va opposer un ultime argument aux sages et aux savants mais il  contient aussi la plus grande objection , comme si la croyance authentique impliquait d'assumer l'athéïsme.Cet ultime argument est paradoxal puisqu'il s'agit d'admettre et de reconnaître le scandale du mal.

 

 

 

On distingue traditionnellement le mal physique, le mal moral et le mal métaphysique   .

 

Le mal physique  englobe non seulement la douleur physique mais aussi la souffrance morale , comme celle de n’être pas aimé, d’être victime d’une injustice.

Le mal moral , c’est la faute,la volonté du mal,   à la limite , pour le croyant le péché.

Le mal métaphysique , quant à lui, est lié à notre finitude :  quoi que  nous fassions nous  aboutissons à la mort et nous sommes , notre vie durant, confronté à nos limites y compris quand nous voulons faire le bien .

 

Face au problème du mal , il y a trois  attitudes possibles  .

1- soit de le nier :

La difficulté du problème du mal c’est de reconnaître sa positivité. Le mal n’est pas simplement l’absence de Bien , comme les ténèbres ne sont que l’absence de lumière, le mal n’est pas la contradictoire du Bien, un non –bien mais son contraire , comme l’amer est le contraire du doux et la douleur le contraire du plaisir . Il y a quelque chose de positif dans ce négatif .

 

2-soit de le surmonter , ce qui est encore le nier en montrant qu’au fond, tout mal est médiatisable . C’est la position de l’idéalisme . Le propre du discours idéaliste, rappelle E.BORNE dans « Le problème du mal »  est de considérer que toute douleur physique étant aussi douleur morale , souffrance d’esprit . En étant souffrance d’esprit, la conscience du mal  nous montre aussi la valeur de l’esprit, la souffrance creusant en l’homme une dimension d’intériorité, "engendre un chemin escarpé et clair" . « le mal de la douleur serait racheté par l’esprit qui pense la douleur ». La conscience de la faute serait ainsi remède unique et nécessaire, la connaissance du mal serait défaite du mal. Toute faute serait au fond « felix culpa » , un mal pour un bien ,un mal nécessaire,  disons nous familièrement .

Le fond de cette attitude ,serait celle de la Sagesse dont les 3 catégories sont : « totalité, nécessité,  beauté »

Bien des sagesses,  bien  philosophies, bien des religions ont pris ce chemin qui consiste à dire que le mal n'est qu' une vision partielle du Tout.

Pourquoi ? parce que le mal si on refuse de le surmonter, si on entend le cri de celui qui souffre n’est pas médiatisable et provoque remords et angoisse !

Le mal , c’est tout simplement l’échec de la sagesse et de la raison . La preuve par la contingence, la preuve téléologique ne résistent pas à l’épreuve du mal, c’est-à-dire , à l’écoute de la conscience qui souffre .

 

 

PB : Aucune de ces solutions n'est satisfaisante . Dès lors  ,la question est : comment reconnaître , l'existence du mal , sans immédiatement le réduire à un mal métaphysique, c'est-à-dire à une simple privation , sans pour autant sombrer dans l'angoisse et le désespoir ?

 

 RQ J’ai lu , il y a déjà quelques temps les Bienveillantes de Jonathan  LITTLE, je crois que je ne peux l'oublier et il serait bon que l ‘éditeur inscrivît ce que le lecteur ( en tout cas , c'est mon cas !  ) éprouve une fois la dernière page refermée.

" la conscience ne peut connaître le crime commis par d'autres sans participer à l'illumination  du remords" E.BORNE

 

3- la  solution est  donc forcément équivoque. Si, comme PASCAL,  je refuse les paroles de consolation, les discours rationnels qui disent que « le vrai, c’est le tout », j’assume forcément l'angoisse de  l’athéïsme et « le silence éternel » d’un Dieu qui n’est pas dans les cieux .

 

« L’athéïsme restaure la sensibilité au mal endormie dans les mythologies et dans les panthéïsmes, il réveille l’angoisse et il découvre du même coup l’essence du mal qui est la rupture entre l’être et la valeur . » E. BORNE

Le monde est cassé .

RQ Il y a athéïsme et athéïsme dit E.BORNE. celui qui se contente de stigmatiser (c’est un comble !) l’anthropomorphisme des religions d’un Dieu personnel,et qui  fait de la réalité immanente dans l’espace et dans le temps la réalisation d’un ordre objectif , « satisfait  seulement de ne point allèguer un Penseur ou un Ordonnateur distinct du grand œuvre",  "croit supprimer Dieu et   garde l’armature rationnelle des preuves de l’existence de Dieu. »

Beaucoup d’ouvrages aujourd’hui , qui opposent Dieu et la science sont de cet acabit et méritent juste d’être rangés dans la catégorie su scientisme, cette foi dans la science .

L’ athéïsme dont il est question c’est celui qui assume "l’ironie de l’esprit et le sentiment tragique de l’existence" , celui qui refuse la synthèse ; alors oui,  cet athéïsme est juste sauf qu’il est difficile .

 

Il ne reste donc  à celui qui refuse  cet athéïsme que le pari , cette ultime foi en la raison qui dépasse et conserve l’angoisse de l’athéïsme. « l’authentique croyance en Dieu est un athéïsme assumé et nié » Ce n’est pas un suicide de l’esprit mais un acte de liberté qui implique risque et responsablité personnelle en vue d’un Dieu évidemment caché .

 

 

conclusion :

 

 Qu’est –ce qui motive la croyance religieuse ?

 C’est sans doute la peur de mourir, la soif d’absolu, la naïveté, l’ignorance ou au contraire l’exigence d’une parfaite intelligibilité du réel mais ces motivations ne résistent pas aux soupçons ni aux Lumières de la raison .On ne peut cependant demander au croyant qu’il soit indifférent au mal, aux massacres des innocents, de Syrie ou d’ailleurs . Le massacre des Innocents n’est pas qu’un problème politique ou économique mais la ruine même du sens  .

C’est en ce sens que le croyant peut avoir le dernier mot : il faut parier , « nous sommes embarqués ». 

 

 

 

 

 

 

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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 10:10

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  • RELIGION :  Qu’est-ce qui motive la croyance religieuse ?

 

RQ :  Le sujet se présente de façon non dialectique mais on peut grâce à un travail d’analyse sur les mots découvrir le paradoxe . Ici le verbe motiver est très riche puisqu’il donne deux substantifs : mobile et motif, or ces mots nous renvoient à l’opposition du désir et de la raison, on peut donc, ici aussi, transformer ce sujet en sujet dialectique . Il nous renvoir au problème de la foi et de la raison .

 

La croyance religieuse désigne à la fois, objectivement,  un contenu qui nous indique comment penser et comment vivre mais aussi, subjectivement,  une certaine façon d’approuver ce contenu , on y croit justement , c’est-à-dire , qu’on y adhère volontairement . Précisément, qu’est-ce qui motive la croyance religieuse ? Il s’agit de savoir pourquoi on adhère à une croyance religieuse , plus précisément, quelles sont les causes qui pousse  une conscience à croire . 

A priori, la croyance est confiance , une adhésion qui se passe de preuve . Il y aurait dès lors essentiellement des mobiles d’ordre affectif, relevant plus du désir que de la raison.

Toutefois, la croyance religieuse s’efforce de se justifier et de s’appuyer sur la raison , la théologie rationnelle en est l’exemple majeur . La Foi montre par là qu’elle a de solides motifs .

Le problème , concerne donc le fondement de la croyance religieuse, le rapport de la foi et de la raison : la croyance religieuse repose-t-elle sur des mobiles ou sur des motifs ?

Si on considère que la croyance ne repose que sur des mobiles, alors on lui interdit de discuter avec la raison et la philosophie mais on risque ainsi de la livrer au silence dont on ne sait jamais s’il na va pas mener à la violence . Si on considère qu’elle a de bonnes raisons et même qu’elle est rationnelle, alors elle peut discuter et dialoguer avec la philosophie mais on risque de la nier comme croyance . L’enjeu serait de savoir si la croyance peut discuter avec la raison sans se nier comme croyance et sans risquer un silence toujours suspect .  Se pourrait-il qu’il fût  raisonnable de croire ?

 

 

 

 

1 Les mobiles de la croyance :

 

 

 

                        1.1 Des mobiles conscients :

 

            Le plus importants de tous : la peur de la mort , les rites funéraires sont apparus avant même les manifestations de l’art . Les préhistoriens s’accordent à dire que l’homme de  Neanderthal, qui n’est donc pas encore l’homo sapiens, enterre ses morts . L’existence de ce rite marque à leurs yeux un passage essentiel de l’animalité à l’humanité .  On peut  penser que Néanderthal se représente la mort et sans doute ne l’accepte pas sans l’idée d’une continuïté dans un  Au-Delà .

 

Texte N°1

« Mille fois et dans mille volumes on a dit que le culte des ancêtres morts est ce qui suscite communément les religions primitives, et il convient rigoureusement de dire que ce qui distingue le plus l’homme des autres animaux, c’est qu’il garde, d’une manière ou d’une autre, ses morts sans les abandonner à la négligence de notre mère la terre féconde qui enfante tout ; c’est un animal garde-morts (…)

Quand on ne bâtissait pour les vivants que des cabanes de paille ou de terre que les intempéries ont détruites, on élevait des tombeaux aux morts, et la pierre trouva son emploi pour les sépulcres avant de servir aux habitations ; les maisons des morts, et non celles des vivants, ont par leur solidité vaincu les siècles ; non les auberges de passage, mais les demeures permanentes. »

                                                 Miguel de UNANUMO , le sentiment tragique de la vie .1912

 

 

Pourquoi cette peur ? Pourquoi ces rites ?

 

Texte N°2

 

   «  Constatant que tout ce qui vit autour de lui finit par mourir, il est convaincu qu’il mourra lui-même. La nature, en le dotant d’intelligence, devait bon gré mal gré l’amener à cette conviction. Mais cette conviction vient se mettre en travers du mouvement de la nature. Si l’élan de vie détourne tous les autres vivants de la représentation de la mort, la pensée de la mort doit ralentir chez l’homme le mouvement de la vie. Elle pourra plus tard s’encadrer dans une philosophie qui élèvera l’humanité au-dessus d’elle-même et lui donnera plus de force pour agir. Mais elle est d’abord déprimante, et elle le serait encore davantage si l’homme n’ignorait, certain qu’il est de mourir, la date où il mourra. L’événement a beau devoir se produire : comme on constate à chaque instant qu’il ne se produit pas, l’expérience négative continuellement répétée se condense en un doute à peine conscient qui atténue les effets de la certitude réfléchie. Il n’en est pas moins vrai que la certitude de mourir, surgissant avec la réflexion dans un monde d’êtres vivants qui était fait pour ne penser qu’à vivre, contrarie l’intention de la nature. Celle-ci va trébucher sur l’obstacle qu’elle se trouve avoir placé sur son propre chemin. Mais elle se redresse aussitôt. À l’idée que la mort est inévitable elle oppose l’image d’une continuation de la vie après la mort  ; cette image, lancée par elle dans le champ de l’intelligence où vient de s’installer l’idée, remet les choses en ordre ; la neutralisation de l’idée par l’image manifeste alors l’équilibre même de la nature, se retenant de glisser. Nous nous retrouvons donc devant le jeu tout particulier d’images et d’idées qui nous a paru caractériser la religion à ses origines. Envisagée de ce second point de vue, la religion est une réaction défensive de la nature contre la représentation, par l’intelligence, de l’inévitabilité de la mort. »

                                                BERGSON les deux sources de la moral et de la religion .

 

Cette justification de la croyance  par la peur de la mort n’inaugure que la religion close mais il est évident que c’est aussi là que réside la justification de l’idée même de religion .  Il serait même possible d’arrêter là notre réflexion . Mais si c’est la peur qui motive , on est donc loin de la raison, on pourrait même envisager que la religion soit l’expression de mobiles inconscients .

 

                        1.2 des mobiles inconscients :  La religion comme illusion .

 

                         a) l’interprétation freudienne .

Texte N°3

 

    "Les idées religieuses, qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées non réalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une existence future fournit les cadres du temps et le lieu où les désirs se réaliseront. Des réponses aux questions que se pose la curiosité humaine touchant ces énigmes : la genèse de l'univers, le rapport entre le corporel et le spirituel, s'élaborent suivant les prémisses du système religieux. Et c'est un énorme allègement pour l'âme individuelle de voir les conflits de l'enfance - conflits qui ne sont jamais entièrement résolus - lui être pour ainsi dire enlevés et recevoir une solution acceptée de tous. [...]

    Nous le répéterons : les doctrines religieuses sont toutes des illusions, on ne peut les prouver, et personne ne peut être contraint à les tenir pour vraies, à y croire. Quelques-unes d'entre elles sont si invraisemblables, tellement en contradiction avec ce que nous avons appris, avec tant de peine, sur la réalité de l'univers, que l'on peut les comparer - en tenant compte comme il convient des différences psychologiques - aux idées délirantes. De la valeur réelle de la plupart d'entre elles il est impossible de juger. On ne peut pas plus les réfuter que les prouver."

 

 

 

Freud, L'Avenir d'une illusion (1927), trad. M. Boniface, Paris, éd. PUF, coll. Quadrige, 2e

éd. 1996, pp. 43-46.

 

Qui a besoin de religion ? Telle est la question du texte et non pas : la religion est-elle vraie ?

La réponse de FREUD : 1,   celui qui a besoin ou désire (ici la distinction n’est pas fondamentale)   d’être protégé , qui a besoin, 2 ,  du règne de la justice et 3,   celui  qui veut des réponses à ses questions métaphysiques .

 

La religion répond à un désir, un désir tellement fort qu’il engendre la croyance en la réalisation de ses désirs . Autrement dit la religion est une illusion .

Une illusion se présente comme une erreur dans la mesure où dans les deux cas , on est dans l’ignorance . Mais l’erreur c’est ce qui se donne pour la vérité, tandis que l’illusion , c’est ce qui se donne pour la réalité. C’est pourquoi, l’illusion est si difficile à combattre . On peut en effet rectifier une erreur, mais l’illusion persiste malgré la rectification . Ainsi, nous savons que le soleil tourne autour de la terre, mais nous sommes toujours victimes de l’illusion. Que nous soyons ou non prix Nobel d’astronomie, nous voyons le soleil tourner . l’illusion du géocentrisme est exemplaire car si on l’explique , on comprend que c’est notre position dans l’espace et la précipitation de notre jugement qui l'engendre. Nous identifions la perception que nous avons du réel avec le réel , nous confondons ce que nous voyons avec ce qui est. Par extrapolation, on peut considérer la religion comme une extériorisation  de ce que nous ressentons sur les choses, c’est pourquoi le désir semble être la source de nos illusions . Nous prenons nos désirs pour des réalités !!!  On comprend pourquoi FREUD ne peut réfuter la religion mais plutôt chercher montrer à quel désir elle répond .

Mais cela   le rend  aussi assez pessimiste : comment combattre une illusion, comment détruire un désir ?

On comprend pourquoi celui qui possède un savoir et qui n’est plus dupe d'une illusion  ne peut amener l'ignorant au savoir avant que ce dernier n'ait pris consncience de son ignorance  ! Celui qui est dans l’illusion croit qu’il sait , alors qu’en fait il ignore qu’il croit et donc ignore qu’il ignore ! Mystère de l'enseignement ! On ne réfute pas un désir ! 

 

                        b) l’interprétation marxiste :

 

Texte N°4

Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : L'homme fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l'homme qui, ou bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est déjà reperdu. mais l'homme n'est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu'ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C'est la réalisation fantastique de l'essence humaine, parce que l'essence humaine n'a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde,dont la religion est l’arôme spirituel.

La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans coeur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple.

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé a une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole.

 

 

  La problématique marxiste est évidemment différente mais la démarche est similaire , là encore , il ne s’agit pas de réfuter la religion mais de montrer à quelle nécessité elle répond .

La question est donc la même : Qui est celui qui a besoin de religion ?

La réponse : C’est celui qui vit dans une société qui a besoin de religion . Là encore , l’attaque n’est pas directe . « la religion , c’est l’opium du peuple » .

 L’opium n’est pas une drogue au sens d’une substance illicite destinée à nous faire voir « des éléphants roses » , mais un anesthésiant . L’avantage d’un anesthésiant c’est qu’il nous fait supporter la douleur, mais son inconvénient c’est qu’il cache la vraie cause de la maladie et ne traite que le symptôme .

Si nous voulons guérir , il faut arrêter l’anti-douleur afin que nous puissions faire le bon diagnostique et nous attaquer aux vraies causes . Ainsi ce n’est pas la religion qui est cause de la maladie , elle n’en est que « l’arôme » . La critique ne s’adresse pas tant à la religion qu’à une société qui a besoin d’anti-douleur !  (religion).

Si l’on supprime cet anti-douleur, certes on souffrira mais on  révèlera les vraies causes , celles de l’exploitation de l’homme par l’homme et on pourra enfin adopter la thérapie idoine .

 

Or,  une société qui a besoin de religion, qui donc la produit, a mis le monde à l’envers .

Contrairement à la pensée commune , ce ne sont   pas les idées qui mènent le monde, mais le monde qui mène les idées . Dans le  langage de  MARX , « ce n’est pas la conscience qui détermine la vie mais la vie qui détermine la conscience », si l’on veut comprendre ce que les hommes pensent, il faut partir de leurs conditions concrètes d’existence et non de la représentation qu’ils s’en font . Ce renversement causal a pourtant une finalité cachée, celle de jeter un écran de fumée sur la réalité de la domination d’une classe sociale sur une autre.

Ainsi, la religion fait vraiment partie de l’Idéologie , en ce sens qu’elle met le monde à l’envers , comme dans une chambre obscure de vieil appareil photographique, moyennant quoi, elle est un discours dont la forme est universelle mais  qui sert,  en réalité, les intérêts de la classe dominante .

Se passer de l’anesthésiant de la religion nous permettra de révéler les vraies causes de la maladie en mettant  le monde dans le bon sens : c’est bien « la vie qui détermine la conscience », les conditions matérielles d’existence et la religion est destinée à maquiller ce rapport .

 

 

Ce type de critique ne réfute qu’indirectement la religion, il ne s’agit pas de montrer que c’est une erreur mais une illusion. Elle correspond à un désir. Ce désir n’est pas absurde , c’est même la condition humaine, mais c’est la satisfaction dans la religion qui est illusoire.

La religion est donc un mauvais remède à une vraie maladie . Il ne s’agit pas de ridiculiser le croyant mais plutôt de voir pourquoi il a besoin de croire : ainsi, l’attaque n’est pas philosophique mais psychologique . Il s’agit non pas d’expliquer mais d’interpréter la religion , c’est-à-dire de dégager le sens caché du sens apparent des discours du croyant .

Ces critiques , si originales et pertinentes soient-elles comportent pourtant des limites .

La réfutation est indirecte : ce n’est pas le contenu de la croyance qui est visé mais l’attitude du croyant . Enfin , elles sont  arrogantes, elles présupposent que le croyant ne sait pas ce qu’il dit et que seul , le psychologue des profondeurs comprend le sens profond des propos du croyant .

 

On voit souvent cette attitude qui consiste , pour désamorcer un combat politique , à montrer les difficultés psychologiques  de ceux qui les défendent .  Février 2012, les propos de M. Letchimy (député de la Martinique)  contre M. Guéant  ont été ramenés à des propos d’un député Antillais blessé , comme si , au fond, il ne savait pas ce qu’il disait . C’est la mort de tout dialogue !

 

Or une telle critique n’est pas scientifique . K. POPPER rappelle que la psychanalyse comme le marxisme ne sont que des herméneutiques et pas des sciences .

Ne pourrait-on écouter ce que le croyant dit avant d’interprèter ses propos ?

 

 

2 Les motifs de la croyance : La raison au secours de la foi .

 

                        2.1 la théologie  . (de théos, Dieu et logie, discours, étude rationnelle)

 

RQ : Sans entrer dans des considérations trop spécialisées, la théologie est née d’une difficulté liée à une prise de conscience déstabilisante :

la découverte au 13 ème siècle des philosophes grecs « païens » , ne s’appuyant que sur la raison et la foi chrétienne comme religion révélée qui exige au contraire une soumission de l’esprit critique . Le risque est grand en effet d’identifier la religion à la marque d’une faiblesse d’esprit .

D’où le PB suivant : ne pourrait-on pas mettre la philosophie au service de la religion, la raison au service de la foi ?   .

 

                        2.2 les preuves de l’existence de Dieu .

 

RQ : Prouver, c’est établir la vérité d’une proposition mais il y a au moins 3 types de preuve .

La plus grande des preuves, c’est la démonstration. On rencontre exclusivement dans la logique et les mathématiques .

Démontrer , c’est montrer la nécessité d’une conclusion lors d’un raisonnement et ou par la simple application du principe de non-contradiction . Ainsi on peut considérer comme nécessaire la fameuse conclusion du syllogisme selon lequel Socrate est mortel .

                                    Tous les hommes sont mortels

                                    Or Socrate est un homme

                                    Donc Socrate est mortel

Cette dernière proposition est nécessaire car « elle ne peut pas ne pas être, le contraire impliquant contradiction ».

Ainsi , si je ne me donne qu’un concept, celui de corps,par exemple,  je ne peux pas ne pas lui attribuer l’extension, si je l’analyse,  sans avoir un concept littéralement impensable . En revanche, ne sera pas compris dans l’analyse du concept qu’il soit pesant : Un corps sans extension est impensable , pas un corps non pesant .

Pour votre gouverne personnelle, il existe d’autres types de preuves mais dont la validité n’est pas aussi ferme . Ainsi, lorsque l’esprit s’affronte au réel , il dispose plutôt de l’expérimentation, c’est le domaine de toutes les autres sciences .

Quant à l’histoire, sa preuve, elle qui ne peut ni démontrer au sens précis, ni (et encore moins) expérimenter, elle doit en revanche fournir des documents et recourir d’ailleurs aux autres sciences pour établir leur authenticité .

 

De quel type de preuve va se servir la théologie ? Il y en a principalement 3 , je vous les présente dans l’ordre habituel : de la plus solide à la plus fragile .

De la preuve logique et mathématique !

 

                                    a) la preuve mathématique ou argument ontologique .

 

Dieu est un être parfait

Or l’existence est une perfection

Donc,  Dieu existe

 

 C'est tout !

Autre formulation

« [...] je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui, et partant qu'il existe véritablement : non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu'elle impose aux choses aucune nécessité, mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l'existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. Car il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection), comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes. »  DESCARTES

 

 

 

                                    b) argument cosmologique ou argument  « par la contingence » du monde.                                                                                                                                                                    

 

 

 On part de la causalité efficiente ( cf les 4 causes d’Aristote : cause matérielle, cause formelle, cause mécanique ou efficiente et cause finale) .

Elle consiste à remonter de l’existence du monde considéré comme contingent, à celle de Dieu, défini comme cause première et nécessaire de tout ce qui existe.On peut formuler ainsi cette preuve : le monde considéré aussi bien dans chacun des êtres qui le composent que dans leur assemblage, est contingent, c’est-à-dire qu’il existe mais pourrait aussi bien ne pas exister, n’étant pas parfait, il n’a pas en lui-même sa raison d’être ; il faut donc qu’il existe par la vertu d’un autre être, distinct de lui et qui soit, comme disait les scolastiques, « cause de soi »,c’est-à-dire qui ait en lui-même sa raison d’être, qui soit l’Etre nécessaire .

 

                                    c) argument téléologique ou par les causes finales

 

 On part ici de la nécessité de recourir à la cause finale . On  prend pour point de départ l’ordre harmonieux, la finalité qui, dit-on, règne dans la nature. Celle –ci nous apparaît comme un système de moyens, et de fins.Or, tout système de ce genre suppose une cause intelligente. La nature ne saurait avoir qu’une cause intelligente , elle est donc l’œuvre non pas tant ici d’un créature d’ailleurs que d’un brillant architecte . Cette preuve est la plus populaire , c’est celle qu’utilisent tous ceux qui font du prosélytisme !

 

 

 

  limites de ces preuves rationnelles :

1° Le philosophe les réfute .

2° mais  le croyant aussi !

 

            1°La réfutations des preuves de l’existence de Dieu . KANT. CRP . 1781

                        a’) On ne peut déduire analytiquement du concept que ce qui y est implicitement contenu ; or dans l’idée ou le concept de Dieu, n’est pas contenu l’existence réelle mais seulement sa possibilité logique . Dieu , en effet,  est possible , autrement dit il n’est pas impensable. Mais qu’une chose ne soit pas contradictoire , ne signifie pas qu’elle existe ! Pour reprendre un exemple célèbre de KANT en le modernisant quelque peu : je peux aisément définir, c’est-à-dire donner l’essence d’une « carte infinite » : carte de paiement avec laquelle on peut retirer des sommes considérables, mais je ne vais pas pour autant la faire surgir de mon porte-feuille ! De la pensée, ou de l’essence d’une chose à son existence , la conséquence n’est pas bonne . Une existence ne se prouve pas , elle s’éprouve ! j’ ai bien l’Idée de Dieu mais ce n’est qu’une Idée .

 

                        b’) cette preuve dit KANT recèle toute « une nichée de sophismes ».

Il n’est pas évident que le monde soit contingent , c’est même ce qui fait question .

Pourquoi s’arrêter dans la série des causes ?

Rappelons cet argument : ce qui existe dans le monde ne saurait avoir sa raison d’être en lui-même. Si toutes les choses et tous les êtres existent de façon contingente, il faut assigner à chacun d’eux ou à leur état, une cause déterminée . En tant que cette cause ou cet état sont de nature empiriques (donnés dans l’expérience) , ils doivent eux-mêmes êtres considérés comme effets d’une cause ou d’un état antécédents, et aisi de suite à l’infini. De sorte qu’il est nécessaire de situer la raison d’être suprême de tout le contingent .

 

Nous posons spontanément, du fait de notre intelligence, une relation causale entre les phénomènes, nous disons que x est l’effet de y et y  donc est  cause.

Mais y n’est pas une cause absolue, y est à son tour effet de z.

Qui lui-même est l’effet d’une cause antérieure …

Ainsi notre esprit est-il renvoyé de cause en cause sans pouvoir se « reposer » sur une cause qui ne serait pas l’effet d’une cause antérieure , mais qui serait cause absolue , cause d’elle-même en quelque sorte .

Cette exigence de l’esprit nous la trouvons justement dans l’idée d’un être nécessaire. Tout le problème est là , nous passons sans nous en rendre compte d’une observation physique à une exigence de l’esprit , mais nous dépassons la physique et faisons de la méta-physique : par définition cette cause ultime de toute choses ne saurait faire l’objet d’une expérience , être observable dans le cadre spatio-temporel , elle n’est justement plus cosmologique !  L’existence d’un être nécessaire est au fondement  de l’argument cosmologique de sorte que ce dernier repose en fin de compte sur la preuve ontologique qui vient d’être réfutée …

 

                        c’) L’ordre du monde mais quel ordre ?

  _On peut se passer de cette idée :

 

L’idée de finalité est une idée assez naïve en fin de compte quand on prétend l’appliquer à la nature . C’est en effet une idée empruntée à l’action humaine et plus précisément à la technique . « Quand on considère un objet fabriqué, par exemple un coupe-papier »cf texte SARTRE ( Eh oui, il faut se souvenir de tous vos cours !) , on fait le raisonnement suivant : c’est pour couper le papier que cet objet est apparu, autrement dit, sa fonction : ce à quoi l’objet va servir précède et explique l’existence de l’objet, les matériaux nécessaires, sa forme etc . La conception précède et règle l’exécution !

Que faisons nous quand nous prétendons que « c’est pour voir que nous avons des yeux » ?

Nous prétendons traiter la nature par analogie avec la technique mais il y a en effet quelque chose de totalement dépassé dans cette approche . la science moderne n’a cure des causes finales , elle ne s’occupe que des causes mécaniques . Elle dit seulement : c’est parce que nous avons des yeux que  nous voyons ! C’est l’organe qui crée la fonction , ce n’est pas la fonction qui crée l’organe et franchement comprendre les causes de la vision à plus fait pour  nos yeux que tous ceux qui disent qu’ils sont beaux !

La science moderne pour dire les choses très simplement se contente de répondre à la question : « comment » et ne répond pas à la question  « pourquoi » !

 

RQ : De là à dire que cette question n’a pas de sens, alors nous franchissons les limites de la science pour aller vers le scientisme ( thèse selon laquelle, un jour, toutes les questions qui portent sur le « pourquoi », questions métaphysiques ou existentielles auront une réponse de type physico-chimiques ). Cette attitude est  tout aussi dangereuses d’ailleurs que   l’obscurantisme ( qui prétend avoir plus de légitimité que la science pour répondre au « comment » : il y a eu l’affaire Galilée mais  malheureusement   l’histoire se répète : les créationnistes aux US . 

Les deux risques existent aujourd’hui .

 

_Cette idée est loin d’être évidente !

 

« L’ordre de la traite négrière » ?  Celui  de la « solution finale » ? «  des Khmers rouges » ou celui du président syrien ? …

 

2° Plus étonnant peut-être le croyant les ridiculise !  elles sont inutiles : elles n’ont jamais convaincu , ni converti personne . Qui plus est, elles sont vaines : elles ne sauvent personne !

 

« S’il y a un Dieu il est infiniment incompréhensible, puisque n’ayant ni partie,ni bornes, il n’a nul rapport à nous.Nous sommes donc incapables de connaître ne ce qu’il est, ni s’il est . »

le croyant Pascal nous dit qu’une telle entreprise , prouver l’existence de Dieu est contraire à la vraie foi .

 PB : si les mobiles , comme les motifs théoriques se révèlent illégitimes ou  incapables de rendre raison de  la croyance religieuse , ne devons nous pas reprendre toute la question à nouveau frais et réexaminer notamment ce qu’on entend par là ?

 

 

 

3 La croyance entre raison pragmatique et raison pratique .

           

            Qu’appelle-t-on vraiment croyance ?

 

                        3.1 opinion, croyance, savoir .   

 

« On doit distinguer la vérité qui est le caractère objectif  de la connaissance ; le jugement par lequel queque chose est représenté comme vrai_ le rapport à un entendement et par conséquent à un sujet particulier_est subjectif, c’est l’assentiment . » KANT , Logique    (consentement, approbation à une proposition )

   .

Cette dernière comporte des degrés et l’on passe d’une certitude absolue liée à  la conscience   de la nécessité de ce que nous affirmons ( par ex , les propositions logiques et mathématiques) , nous avons alors un savoir et nous le savons ,  à l’incertitude qui implique que nous avons conscience du caractère contingent de ce que nous affirmons .

 Mais l’incertitude est de deux sortes : nous pouvons avoir une incertitude liée à la fois au contenu et à la façon dont nous y  adhérons .  C’est le cas de l’ opinion . « Je crois qu’il fera beau demain » : 1 je n’ai aucune preuve de ce que j’avance et 2 moi-même je n’y crois pas trop : « je crois que » veut dire : je n’ai pas de certitude . Kant l’appelle jugement problématique .

A l’opposé, il y a  une position qui concilie « l’incertitude objective avec la certitude subjective », c’est ce qu’on appelle la foi . Celui qui a cette foi ne dit pas qu’il croit que Dieu existe, il dit : « je crois EN Dieu ». Croire QUE et croire EN n’ont en effet pas le même sens ! celui que croit "EN" , quelle que soit d’ailleurs l’objet de sa croyance , son Dieu ou son avenir, n’a pas besoin de preuve ou d’une situation économique idéale . Il "y" croit , cela  suffit   . Celui qui croit « EN » sait qu’il croit mais cela n’est pas une faiblesse , on n’en verra que mieux la force de ses convictions .

Exemples donnés par KANT lui-même :

             je n’ai qu’une opinion si je vis comme si j’étais immortel : je crois que je sais .

            J’aurais un savoir si je savais qu’il y a une vie après la mort : je sais

            J’ai une croyance dans la mesure où je crois que je suis immortel : je sais que je crois.

 

L’opinion , la croyance le savoir portent sur des connaissances spécifiques.On ne peut pas parler d’opinion scientifique , quant aux objets de la croyance, ils  sont assumés par elle  pour des raisons morales et concerne les « choses dont je suis certain que le contraire ne saurait être prouvé ».

KANT rajoute dans une note : « la croyance n’est pas une source particulière de connaissance . C’est une sorte d’assentiment dont on a conscience qu’il est imparfait ,(…) elle diffère de l’opinion non par le degré , mais par la relation qu’elle entretient, en tant que connaissance avec l’action. Ansi un commerçant pour entreprendre une affaire a besoin non seulement d’avoir l’opinion qu’il a quelque chose à y gagner, mais de le croire, c’est-à-dire que son opinion soit suffisante pour qu’il se risque dans une entreprise incertaine. »

De cette remarque ,et des exemples donnés par KANT ,  nous pouvons dégager encore deux bonnes « raisons »  de croire, en tout cas de continuer faire  discuter  le croyant avec l’incroyant .

 

En effet, les exemples donnés par KANT renvoient à l’ efficacité de la croyance, à , comme on dit, la force des convictions  . On dit souvent qu’il suffit d’ « y » croire pour réussir . Qu’il s’agisse de l’efficacité d’un placebo, du « mental » d’un sportif de haut niveau , des prophéties auto-réalisatrices (effet Œdipe) , c’est toujours  « la foi qui soulève les montagnes ».  Ainsi , il y aurait une autre façon d’envisager la croyance , une façon , disons , pragmatique .

C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le fameux pari de Pascal : que gagne-t-on à croire, quelle est l’utilité de la foi ? Parier c’est mettre à l’épreuve cette croyance  par une comparaison . Pour reprendre ce passage ardu, rien ne vaut le livre très original et très savant de Denis MOREAU  dont je vous recommande vivement la lecture : les voies du Salut . 2011

 

            3.2 Faut-il parier sur l’existence de Dieu ?

 

"Examinons donc ce point, et disons : « Dieu est, ou il n'est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre ; par raison, vous ne pouvez défaire nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n'en savez rien.

 

Non ; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier.

 

Oui, mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter.

 

Cela est admirable. Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop.

 

Voyons. Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gager ; mais s'il y en avait trois à gagner, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie de bonheur. Et cela étant, quand il y aurait une infinité de hasards dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux, et vous agiriez de mauvais sens, étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d'une infinité de hasards il y en a un pour vous, s'il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner. Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti : partout où est l'infini, et où il n'y a pas infinité de hasards de perte contre celui de gain, il n'y a point à balancer, il faut tout donner."

 

Pascal, Pensées (1670), extrait du fragment 233 dans l'édition L. Brunschvicg.

 

Résumons :

 

           

Le pari de PASCAL : tableau extrait de l’oeuvre de D. MOREAU :  Les voies du Salut

Pari opéré

Conséquence en cette vie

Conséquence après cette vie

1 je parie « Dieu existe »( j’ai raison)

Je mène une vie pieuse :quelques jouissances mais peu nombreuses( quantifiables par ex comme 10)

« infinité de vir infiniment heureuse », « Eternité de vie et de bonheur », gain infini : « vous gagnez tout »

2 je parie  « Dieu existe »(et j’ai tort)

Même chose que dans le cas précédent

Néant= 0 « vous ne perdez rien »

3 je parie »Dieu n’existe pas »(et j’ai raison)

Je mène une vie de libertin, de « divertissement » :nombreuse jouissances( quantifiables par ex comme 100, 1000, ou même 10000 !)

Néant=0 »vous ne perdez rien »

4 je parie « Dieu n’existe pas « (et j’ai tort)

Même chose que dans les cas précédent .

Eternité malheureuse. Perte infinie(quelque chose comme « vous perdez tout », « infinité de vie infiniment malheureuse »)

 

 

 

 

 

 

 Ce pari nous étonne aujourd’hui et il faut mettre au jour ce qu’il présuppose , le problème dont le pari est la solution .

 

                        3.3 le problème du mal .

 

le croyant va opposer un ultime argument aux sages et aux savants qui contient aussi la plus grande objection , comme si la croyance authentique impliquait un athéisme dépassé .

 

 

 

On distingue traditionnellement le mal physique, le mal moral et le mal métaphysique   .

 

Le mal physique qui englobe non seulement la douleur physique mais aussi la souffrance morale , comme celle de n’être pas aimé, d’être victime d’une injustice.

 

Le mal moral , c’est la faute,la volonté du mal,   à la limite , pour le croyant le péché.

Le mal métaphysique , quant à lui est lié à notre finitude qui fait que nous aboutissons à la mort et que nous sommes , notre vie durant, confronté à nos limites y compris quand nous voulons faire le bien , il "reste" toujours "un peu" de mal.

 

Face au problème du mal , il y a trois  attitudes possibles  .

1- soit de le nier :

La difficulté du problème du mal c’est de reconnaître sa positivité. Le mal n’est pas simplement l’absence de Bien , comme les ténèbres ne sont que l’absence de lumière, le mal n’est pas la contradictoire du Bien, un non –bien mais son contraire , comme l’amer est le contraire du doux et la douleur le contraire du plaisir . Il y a quelque chose de positif dans ce négatif .

 

2-soit de le surmonter , ce qui est encore le nier en montrant qu’au fond, tout mal est médiatisable . C’est la position de l’idéalisme . Le propre du discours idéaliste, rappelle E.BORNE dans « le problème du mal »  est de considérer que toute douleur physique étant aussi douleur morale , souffrance d’esprit . En étant souffrance d’esprit, la conscience du mal  nous montre aussi la valeur de l’esprit, la souffrance creusant en l’homme une dimension d’intériorité, engendre un chemin escarpé et clair . « le mal de la douleur serait racheté par l’esprit qui pense la douleur ». La conscience de la faute serait ainsi remède unique et nécessaire, la connaissance du mal serait défaite du mal. Toute faute serait au fond « felix culpa » , un mal pour un bien ,un mal nécessaire,  disons nous familièrement .

Le fond de cette attitude ,serait celle de la Sagesse dont les 3 catégories sont : « totalité, nécessité,  beauté »

Bien des sagesses,  bien  philosophies, bien des religions ont pris ce chemin qui consiste à dire que le mal n'est qu' une vision partielle du Tout.

Pourquoi ? parce que le mal si on refuse de le surmonter, si on entend le cri de celui qui souffre n’est pas médiatisable et provoque remords et angoisse !

Le mal , c’est tout simplement l’échec de la sagesse et de la raison . la preuve par la contingence, la preuve téléologique ne résistent pas à l’épreuve du mal, c’est-à-dire , à l’écoute de la conscience qui souffre .

 

 RQ J’ai lu , il y a déjà quelques temps les Bienveillantes de Jonathan  LITTLE, je crois que je ne peux l'oublier et il serait bon que l ‘éditeur inscrive ce que profondément on éprouve indépendamment envers et contre toute raison .

" la conscience ne peut connaître le crime commis par d'autres sans participer à l'illumination  du remords"

 

3 la dernière solution est forcément équivoque, si, comme PASCAL,  je refuse les paroles de consolation, les discours rationnels qui disent que « le vrai, c’est le tout », j’assume forcément l’athéïsme et « le silence éternel » d’un Dieu qui n’est pas dans les cieux .

 

« L’athéïsme restaure la sensibilité au mal endormie dans les mythologies et dans les panthéïsmes, il réveille l’angoisse et il découvre du même coup l’essence du mal qui est la rupture entre l’être et la valeur . » E. BORNE

Le monde est cassé .

RQ Il y a athéïsme et athéïsme dit E.BORNE. celui qui se contente de stigmatiser (c’est un comble !) l’anthropomorphisme des religions d’un Dieu personnel,et qui  fait de la réalité immanente dans l’espace et dans le temps la réalisation d’un ordre objectif , « satisfait  seulement de ne point allèguer un Penseur ou un Ordonnateur distinct du grand œuvre",  "croit supprimer Dieu et   garde l’armature rationnelle des preuves de l’existence de Dieu. »

Beaucoup d’ouvrages aujourd’hui , qui opposent Dieu et la science sont de cet acabit et méritent juste d’être rangés dans la catégorie su scientisme, cette foi dans la science .

L’ athéïsme dont il est question c’est celui qui assume "l’ironie de l’esprit et le sentiment tragique de l’existence" , celui qui refuse la synthèse ; alors oui,  cet athéïsme est juste sauf qu’il est difficile .

 

Il ne reste en effet à celui qui refuse l’athéïsme que le pari , cette ultime foi en la raison qui dépasse et conserve l’angoisse de l’athéïsme. « l’authentique croyance en Dieu est un athéïsme assumé et nié » Ce n’est pas un suicide de l’esprit mais un acte de liberté qui implique risque et responsablité personnelle en vue d’un Dieu évidemment caché .

 

 

conclusion :

 

 Qu’est –ce qui motive la croyance religieuse ?

 C’est sans doute la peur de mourir, la soif d’absolu, la naïveté, l’ignorance ou au contraire l’exigence d’une parfaite intelligibilité du réel mais ces motivations ne résistent pas aux soupçons ni aux Lumières de la raison .On ne peut cependant demander au croyant qu’il soit indifférent au mal, aux massacres des innocents, de Syrie ou d’ailleurs . Le massacre des Innocents n’est pas qu’un problème politique ou économique mais la ruine même du sens  .

C’est en ce sens que le croyant peut avoir le dernier mot : il faut parier , « nous sommes embarqués ». 

 

 

 

 

 

 

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14 février 2012 2 14 /02 /février /2012 10:09

Exercice inédit :

 

La valeur d'une civilisation se mesure-t-elle au progrès technique ? Une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ? Tels sont les sujets du bac auxquels se sont confrontés deux hommes politiques .

1 -Que pensez-vous de leur prestation ? Dégagez les présupposés et les enjeux de chacune des deux "thèses". 

2- Vous rédigerez une troisième partie ( rationnelle) susceptible de dépasser la polémique et l'injure , permettant d'aboutir à des idées claires et distinctes.

a)  Qu'est-ce qu'une culture ? Est-ce la même chose qu'une civilisation  ? quelles différences ?

b) Quelle différence entre UNE civilisation et LA civilisation .

Quelle est l'importance de cette distinction ?

 

3- Question subsidiaire : à quelles conditions un dialogue  entre  les hommes et les cultures est-il possible ?

 

Texte lu par Serge Letchimy (député de la Martinique) .

 

" Nous savions que M.Guéant la distance entre immigration et invasion est totalement inexistante et qu'ils peut savemment entretenir la confusion entre civilisation et régime politique. ça n'est pas un dérapage, c'est une constante parfaitement volontaire . En clair, c'est un état d'esprit et c'est presqu'une croisade. M. Guéant, vous déclarez du fond de votre abîme, sans remords ni regret, que toutes les civilisations ne se valent pas .Que certaines seraient plus avancées voire supérieures. Non M.Guéant, ce n'est pas "du bon sens", c'est simplement une injure qui est faite à l'Homme. C'est une négation de la richesse des aventures humaines. C'est un attentat contre le concert des peuples, des cultures et des civilisations. Aucune civilisation ne détient l'apanage des ténèbres ou de l'auguste éclat. aucun peuple n'a le monopole de la beauté de la science du progrès ou de l'intelligence  .

Montaigne disait:" chaque homme porte la forme entière d'une humaine condition". j'y souscrit. Mais vous, monsieur Guéant, vousprivilégiez l'ombre. vous nous ramenez jour àprès jour à des idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration au bout du long chapelet esclavagiste et colonial. le régime nazi, si soucieux de purification, était-ce une civilisation? La barbarie de l'esclavage et de la colonisation , était-ce une mission civilisatrice? Il existe, M. Le premier Ministre, une franceobscure qui cultive la nostalgie de cette époque, que vous tenetz de récupérer sur les terres du FN. (Fillonse lève et part, suvi du gouvernement, ndlr). C'est un jeu dangereux et démagogique qui est inacceptable. Il existe une autre (France ndlr), celle de Montaigne, de Condorcet, deVoltaire, de Césaire ou d'autres encore. Une france qui nous invite à la reconnaissance, que chaque homme..."M. Letchimy est coupé par le président de l'Assemblée, Bernard Accoyer, ndlr).

 

  fin du discours:

Une France qui nous invite à la reconnaissance que chaque homme,dans son identité et dans sa différence, porte l’humaine condition, et que c’est dans la différence que nous devons chercher le grand moteur de nos alliances !

Alors M. le premier ministre : Quand, mais quand donc votre ministre de l’intérieur cessera t-il de porter outrageusement atteinte à l’image de votre gouvernement et à l’honneur de la France ?

 

 

CI dessous les propos de GUEANT :

lors de la convergence de l’UNI, le 4 février 2012, Claude Guéant, ministre de l’intérieur, a dit :

·       "Or, il y a des comportements , qui n’ont pas leur place dans notre pays, non pas parce qu’ils sont étrangers, mais parce que nous ne les jugeons pas conformes à notre vision du monde, à celle, en particulier de la dignité de la femme et de l’homme. Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation."

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