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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 21:39

oedipe sphinx 2  

Peut-on expliquer une œuvre d’art ?

 

RQ la difficulté du sujet c’est qu’il est question non de l’art en général ni même des œuvres d’art mais d’une œuvre d’art .  On insiste bien sur la singularité,  dans tous les sens (quantitatif et qualitatif ) de l’œuvre . Ici le paradoxe réside dans le contraste entre expliquer  qui renvoie  à une relation causale identifiable qui ferait de l’œuvre un objet comme les autres et l’œuvre d’art généralement caractérisée par son originalité , son unicité , mais aussi son équivocité inclassable . L’intérêt de ce sujet est d’utiliser le concept de cause et les repères du programme : on oppose expliquer et comprendre …mais de façon beaucoup moins utilitariste à nous faire réfléchir à ce qu’est non seulement une œuvre d’art mais aussi, paradoxalement, la raison et ses opérations .

 

 

Une œuvre d’art est le résultat de la production humaine et non un effet de la nature .Une symphonie, un tableau, un roman sont le produit de l’activité et de l’intelligence des hommes  . Mais comment l’expliquer alors  même qu’ on ne peut définir « une » œuvre parce qu’on ne définit que ce qui est généralisable . A fortiori, semble-t-il très improbable d’expliquer une œuvre d’art . La singularité n’est-elle pas d’abord originalité ? Or l’originalité n’est-elle pas par définition même ce qui ne peut être ramenée à des règles, c’est-à-dire expliquée ? Qui plus est, un tableau n’est pas censé boucher un trou dans le mur ou épater les philistins cultivés mais être là pour lui-même , être à lui-même sa propre fin .On  peut-on donc se demander si on peut  expliquer une œuvre d’art .

Il s’agit de savoir si on peut donner les causes efficientes et finales qui ont présidé à la réalisation de l’œuvre  d’art  et la considérer  comme effet ?

A priori, l’œuvre d’art a toutes les apparences d’un mystère . Un mystère c’est ce qui est caché et qui résiste aux explications rationnelles . C’est l’expression de l’imagination et de la fantaisie mais  alors l’œuvre risque d’ apparaître comme un simple divertissement, ou au contraire comme une chose ineffable, au-delà du concept, dans tous les cas comme incapable d’intéresser la raison . D’un autre côté, une œuvre d’art c’est un objet humain et qui comme tel s’inscrit dans l’histoire aussi bien celle des hommes en général que celles des techniques et de la philosophie mais alors on risque de ramener l’effet à ses causes , ce qui est singulier à ce qui est général , ce qui est artistique à ce qui ne l’est pas , bref de la réduire à une simple énigme déchiffrée par l’homme aux 1000 ruses (Ulysse)  !

Le problème concerne l’essence de l’œuvre d’art : peut-elle faire l’objet  d’un discours  sans que l’on détruise ce qui fait sa singularité ?  Peut-on parler d’une œuvre sans parler sur elle ou à côté d’elle ?

L’enjeu concerne la capacité pour une œuvre par définition singulière à être universelle sans être conceptuelle .

 

 

1      L’œuvre d’art se présente comme   un  mystère : On ne peut l’expliquer en droit , c’est-à-dire ici au niveau du concept , parce qu’elle n’est pas de l’ordre du concept .

 

ARISTOTE nous dit qu’on peut se poser 4 questions à propos d’un objet fabriqué , nous pouvons nous aider de ses questions pour répondre à la questions posée .

 Question concernant la cause  matérielle : en quoi ?   

 Question concernant la cause formelle : qu’est-ce que c’est ?

 Question concernant la cause efficiente ou mécanique : comment ou qui ?

 Question concernant la cause finale : en vue de quoi ?

Concernant l'oeuvre d'art, on pourrait après tout répondre aisément : la statue de marbre représente Athéna, a été exécutée par PHIDIAS, pour orner un temple. Toutefois cette évidence cache mal certaines questions liées à chaque question et à leur rapport. Pourquoi le marbre ? Pourquoi Athéna ? pourquoi le marbre pour Athéna? l'artiste travaille-t-il comme un artisan ? Une oeuvre d'art n'est-elle pas comme telle libérée de toute fonction ? Dès que l'on essaie de penser l'art on se heurte à des difficultés liés au foisonnement de ses productions et à leur impossible transparence

 

 

 

1.1   La cause matérielle

    Concernant la première cause, il semble vraiment impossible de répondre tant les matériaux de l’art sont multiples y compris ceux qui sont le plus immatériels …ou au contraire des matériaux du BTP , du très noble et de l’ignoble , de l’or mais aussi des vieux pneus ou du caoutchouc !

 

 

1.2  La cause formelle :  Là aussi nous nous heurtons à l’extraordinaire multiplicité des formes qui nous interdit de dégager l’unité , c’est-à-dire l’essence :

  On ne définit que des  essences , on décrit des choses singulières .  On ne définit pas un insecte mais l’insecte . Pour qu’il existe une définition de l’insecte , il faut qu’il y ait des caractères communs , des ressemblances entre les objets à définir mais quelle ressemblance entre le portrait de la du Barry et une tête de Maori ? Entre une pyramide faite pour l’éternité et le « happening » .Entre  le presque rien  et ce qui semble parfois être  n’importe quoi !  Il est déjà bien difficile de définir le concept d’art du fait d’une extension qui rend impossible la compréhension ,  a fortiori  une œuvre !

 

 

1.3  la  causes finale : Dans quel but ? Là encore l’œuvre d’art nous laisse au dépourvu :

 Ni objet de consommation

 « Le désir ne peut pas davantage laisser l’objet subsister dans sa liberté, car sa nature le pousse justement à supprimer l’indépendance et la liberté des objets extérieurs et à montrer qu’ils ne sont là que pour être détruits et utilisés jusqu’à épuisement . Mais  parallèlement le sujet, prisonnier des intérêts individuels , limités et médiocres de ses désirs, n’est libre , ni en lui-même , puisque les déterminations qu’il prend ne viennent pas d’une volonté essentiellement universelle et raisonnable, ni vis-à-vis du monde extérieur, puisque le désir reste essentiellement déterminé et attaché à eux » HEGEL

 

 

Ni objet de spéculation :

 « une seconde façon pour les objets extérieurs de se présenter à l’esprit, par opposition à l’intuition sensible individuelle et au désir pratique , est la relation purement spéculative qu’ils soutiennent avec l’intelligence . Dans la contemplation spéculative , l’esprit ne s’intéresse pas à l’individualité des choses ; il ne s’agit ni de les consommer , ni d’y puiser satisfaction et subsistances sensibles ; ce qui intéresse, c’est de les connaître dans leur universalité, de pénétrer leur essence et leur loi intérieure, de les saisir conformément à leur concept ….L’intelligence ne s’attache pas à l’individuel en tant que tel , comme fait le désir , mais seulement dans la mesure où il contient aussi quelque chose d’universel . »HEGEL

 

Mais objet de contemplation.

« L’art diffère à la fois de l’un et de l’autre de ces deux modes ; il tient le milieu entre la perception sensible et l’abstraction rationnelle. Il se distingue de la première en ce qu’il ne s’attache pas au réel, mais à l’apparence, à la forme de l’objet, et qu’il n’éprouve aucun besoin intéressé de le consommer, de le faire servir à un usage, de l’utiliser. Il diffère de la science en ce qu’il s’intéresse à l’objet particulier et à sa forme sensible. Ce qu’il aime à voir en lui, ce n’est ni sa réalité matérielle ni l’idée pure dans sa généralité, mais une apparence, une image de la vérité, quelque chose d’idéal qui apparaît en lui ; il saisit le lien des deux termes, leur accord et leur intime harmonie. Aussi le besoin qu’il éprouve est-il tout contemplatif. En présence de ce spectacle, l’âme se sent affranchie de tout désir intéressé. »     HEGEL , Esthétique, 1835 , T 1

 

Si subjectivement nous sommes dans une attitude de contemplation , c’est parce que nous sommes saisis par la beauté d’un objet qui apparaît  . La beauté est chose sensible en effet , elle se voit et s’entend ,elle apparaît,  elle ne se goûte pas, ne se touche pas , ne se sent pas . Si la beauté  s’adressait à d’autres sens, il n’y aurait pas de possibilité que l’objet se maintienne dans l’existence ;il  faudrait abolir la distance entre lui et nous pour en jouir . Le plaisir éprouvé par la vue et l’ouïe maintient son objet à distance, il ne le détruit pas , c’est aussi la raison pour laquelle on ne s’en lasse pas et que le plaisir est potentiellement inépuisable alors que les plaisirs sensuels rencontrent inévitablement les limites du corps et la logique du désir qui nous mène à l’ennui .  La vue et l’ouïe sont des sens pour ainsi dire intellectuels et nobles face aux sens « ignobles » qui nous rapprochent plus de l’animalité . le Beau n’est pas l’agréable seulement . L’animal est sûrement touché par l’agréable, par la beauté, non car il lui faudrait regarder une œuvre d’art ou même la nature de façon désintéressée . Regarder la nature pour elle-même , en elle –même et non pour les besoins qu’elle satisfait , voilà une attitude propre à l’homme  .

Mais par ailleurs, si la beauté était chose purement intellectuelle , elle ne serait pas visible ou audible, elle serait concevable et sans doute démontrable . Or le plaisir éprouvé devant la beauté est sensible, la beauté se voit et s’entend, elle ne se définit pas, elle ne peut être appréhendée par nos facultés purement rationnelles . l’idée de perfection n’est pas la beauté , même si la perfection n’est pas de ce monde on peut parfaitement la définir : « ce à quoi rien ne manque » et dans un certain ordre de choses , la perfection peut être envisagée comme ce qui rempli adéquatement une fonction .

On pourra parler de la perfection du corps masculin ou féminin en fonction de leurs rôles biologiques par exemple .

La beauté n’est ni l’agréable, ni le parfait : la beauté est chose sensible , pas sensuelle ou intellectuelle .

La beauté , comme le pense PLATON assurerait-elle le lien entre le sensible et l’intelligible, serait-elle capable de nous mener du visible à l’invisible ? Le mystère de l’œuvre ne résiderait-il pas essentiellement  et paradoxalement dans le mystère   de la beauté ? c’est paradoxal en effet parce que la beauté « saute toujours aux yeux » , on ne réfléchit pas pour savoir si une chose est belle ou pas ! Or ce qui est mystérieux c’est ce qui d’après l’étymologie est caché . La beauté défie l’intelligence et naturellement la séduit ! l’artiste la recherche parfois désespérément .

 

1.4  la cause efficiente ?  

 Celui qui produit une œuvre c’est un artiste mais peut-on expliquer la façon dont il produit ? Là aussi, il semble que nous ne puissions expliquer comment il procède mais qui pis est , lui non plus ! On dit de l’artiste qu’il produit des œuvres mais qu’à bien des égards , il ne s’agit pas d’un travail ordinaire .

On dit de l’artiste non pas qu’il fabrique mais qu’il crée , non pas qu’il travaille mais qu’à la limite il joue . Dans tous les cas, on parlera du mystère du génie artistique ou de celui de l’inspiration . Créer c’est produire quelque chose à partir de rien , en ce sens , l’artiste n’est un créateur qu’en un sens dérivé . Seul Dieu, s’il existe, est créateur en un sens absolu . Mais créer cela nous renvoie surtout à la toute puissance de la pensée . Lorsque Dieu dit « Fiat lux» , « que la lumière soit, et la lumière fut » ,

Aussitôt dit, aussitôt fait pour Dieu !!!  la Bible indique par là que que la puissance de la pensée divine est telle qu’elle engendre le réel sans que la matière lui résiste et sans par conséquent qu’il y ait d’effort .  De même,  l’artiste nous semble engendrer des formes par la toute puissance de son esprit sans que cela ne se traduise pas un travail . Dans l’antiquité , on pensait que l’artiste écrivait sous la dictée des Muses tant son activité avait l’air d’être facile et en même temps incommunicable .

 

C’est ce qu’explique aussi ALAIN dans son très célèbre texte :

 

 

  . « Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l'oeuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une oeuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine bien réglée d'abord ferait l'oeuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'oeuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son oeuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s'étonne lui-même.

Un beau vers n'est pas d'abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. (...) Ainsi la règle du Beau n'apparaît que dans l'oeuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre oeuvre. »

                                                                                                                        ALAIN

 

L’artiste n’est pas tant un être inspiré qu’un génie qui est la version plus récente (XVIII ème siècle )  du mystère de la création artistique . On ne dit plus que les Muses inspirent le poète mais que ce dernier possède une qualité innée . Dans tous les cas on apprend pas l’art à l’école . En ce sens , on ne peut pas parler de génie en science car la science par définition même s’enseigne et s’apprend , elle est dans son fond exotérique . « La science, c’est « nous », l’art c’est « je » »  répète Claude BERNARD .

La beauté ici est "prise dans l’œuvre ce qui veut dire qu’on ne peut passer par un raisonnement inductif à la généralisation.  Elle est proprement ineffable , c’est-à-dire , hors du langage et de la raison . Toute la question serait de savoir si elle est en deçà ou au-delà !

 

 

 

T° Une œuvre d’art résiste à la définition et à l’explication du fait de sa dimension singulière pourtant , une œuvre est le résultat concret  d’une activité humaine, et à ce titre elle s’inscrit dans l’histoire .Dès lors, ne serait –il pas possible en fait de l’expliquer en affirmant que le mystère de l’art ne résiste pas à l’examen de la raison , qu'elle se présente comme une simple énigme résolue par la toute puissance du concept ?

 

 

 

 

                                    2  Tout le réel est rationnel ou la subordination du Beau au Vrai , de l’art à la philosophie . 

Certes , concernant les causes matérielles et formelles nous sommes encore livrés à la diversité des objets et de leurs supports mais comme pour le réel naturel, nous pouvons chercher à en dégager les causes .

                                                2.1 causes finales :

Dire que l’art ne remplit pas de fonction, c’est très rapide et superficiel. Quand on regarde l’histoire de l’art , on voit bien que les œuvres d’art sont d’abord au service de la religion et du pouvoir , au service en somme de ce qui est sacré parce qu’au fondement de l’ordre social  . Or l’art représente le sacré qu’il soit divin ou politique ou les deux en même temps . Représenter , c’est rendre présent   mais aussi mettre en scène . On représente l’absence afin qu’elle ne le soit plus et c’est glorifier aussi . L’œuvre a donc une fonction idéologique et appartient aux superstructures elles-mêmes issues d’un certain ordre ou désordre économique… C’est bien sûr assez trivial mais les exemples sont nombreux qui mettent en scène le pouvoir politique et ou religieux .

Michel FOUCAULT a fait de belles analyses à ce sujet à propos des Ménines de VELASQUEZ . Cf Les mots et les choses .

 

 

                                                2.2 causes efficientes  l’artiste et son travail  : art et technique

 

                        a) l’artiste n’est qu’un homme :  expliquer l’œuvre par la psychologie de l’artiste, l’œuvre par l’homme .

cf FREUD ; « un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci » .

 

                        b) Il s’inscrit dans un contexte du développement des techniques et des codes culturels en vigueur . Il est fils de son temps , fils du temps des techniques possibles . On ne peindra plus comme avant avec l’invention de la perspective  au XIV siècle en Italie . La peinture figurative à l’époque de l’art contemporain nous semble anachronique .

                       

 

                          c)  Quant au prétendu génie , NIETZSCHE , nous explique la supercherie :

 

 

"Les artistes ont intérêt à ce que l'on croie à leurs intuitions subites, à leurs prétendues inspirations ; comme si l'idée de l'oeuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie tombaient du ciel tel un rayon de la grâce. En vérité, l'imagination du bon artiste, ou penseur, ne cesse de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé et exercé, rejette choisit, combine ; on voit ainsi aujourd'hui, par les Carnets de Beethoven, qu'il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant pour ainsi dire d'esquisses multiples. Quant à celui qui est moins sévère dans son choix et s'en remet volontiers à sa mémoire reproductrice, il pourra le cas échéant devenir un grand improvisateur ; mais c'est un bas niveau que celui de l'improvisation artistique au regard de l'idée choisie avec peine et sérieux pour une oeuvre. Tous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s'agissait d'inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d'arranger".

 

Nietzsche, Humain, trop humain (1878), § 155, trad. R. Rovini, p. 138.

 

 

 

    2.3 art et philosophie   .

 

Mais l’art est aussi objet de la philosophie , c’est la philosophie de l’art ou Esthétique et il s'agit , paradoxalement, de réfléchir ce qui est donc esthétique , c'est-à-dire sensible .

 

« L’esthétique a pour objet le vaste empire du beau. Son domaine est surtout le beau dans l’art. Pour employer l’expression qui convient le mieux à cette science, c’est la philosophie de l’art et des beaux-arts » 

 

                  « Le véritable but de l’art est donc de représenter le beau, de révéler cette harmonie. C’est là son unique destination. Tout autre but, la purification, l’amélioration morale, l’édification, l’instruction, sont des accessoires ou des conséquences. La contemplation du beau a pour effet de produire en nous une jouissance calme et pure, incompatible avec les plaisirs grossiers des sens ; elle élève l’âme au-dessus de la sphère habituelle de ses pensées ; elle la prédispose aux résolutions nobles et aux actions généreuses, par l’étroite affinité qui existe entre les trois sentiments et les trois idées du bien, du beau et du divin. »

 

 

MAIS si la philosophie considère que l’art est chose spirituelle , elle n’est pourtant pas l’expression la plus haute de l’esprit :

 

 « Si nous donnons à l’art un rang aussi élevé, il ne faut pas oublier cependant qu’il n’est ni par son contenu ni par sa forme la manifestation la plus haute, l’expression dernière et absolue par laquelle le vrai se révèle à l’esprit. Par cela même qu’il est obligé de revêtir ses conceptions d’une forme sensible, son cercle est limité : il ne peut atteindre qu’un degré de la vérité. Sans doute il est de la destination même de la vérité de se développer sous une forme sensible, et de s’y révéler d’une manière adéquate à elle-même ; elle fournit ainsi à l’art son type le plus pur, comme la représentation des divinités grecques en est un exemple. Mais il y a une manière plus profonde de comprendre la vérité : c’est lorsque celle-ci ne fait plus alliance avec le sensible, et le dépasse à un tel point qu’il ne peut plus ni la contenir ni l’exprimer.  Chez nous, la pensée a débordé les beaux-arts. Dans nos jugements et nos actes, nous nous laissons gouverner par des principes abstraits et des règles générales. L’artiste lui- même ne peut échapper à cette influence qui domine ses inspirations. Il ne peut s’abstraire du monde où il vit, et se créer une solitude qui lui permette de ressusciter l’art dans la naïveté primitive. Dans de telles circonstances, l’art avec sa haute destination est quelque chose de passé ; il a perdu pour nous sa vérité et sa vie1. Nous le considérons d’une manière trop spéculative pour qu’il reprenne dans les mœurs la place, élevée qu’il y occupait autrefois Nous raisonnons nos jouissances et nos impressions ; tout dans les œuvres d’art est devenu pour nous matière à critique ou sujet d’observations. La science de l’art, à une pareille époque, est bien plus un besoin qu’aux temps où il avait le privilège de satisfaire par lui- même pleinement les intelligences. Aujourd’hui il semble convier la philosophie à s’occuper de lui, non pour qu’elle le ramène à son but, mais pour qu’elle étudie ses lois et approfondisse sa nature.

                                                            HEGEL Esthétique tome 1 (1835)

 

RQ : il y a une parenté profonde en fin de compte entre PLATON et HEGEL, même si HEGEL restreint la beauté au domaine de l’art  , tous les deux font de la beauté une chose équivoque , admirable mais dangereuse: admirable parce que la beauté peut-être une allusion au vrai et nous mener du monde visible et sensible au monde intelligible , mais dangereuse parce qu’elle peut nous  maintenir dans le monde sensible , elle peut nous maintenir dans l’illusion et interdire toute ascension vers  l’intelligible et les idées en soi . Pour PLATON  L’artiste peut produire des simulacres et devenir l’ennemi du philosophe ami de la vérité , pour HEGEL, il n’y a même plus de danger , l’art est mort !

Curieuse cette obsession à les chasser de la Cité ou à les déclarer mort !  L’art ne serait-il pas le grand rival de la philosophie ?

   

 

 

 

 

             T° Ainsi,  s’ « il n’y a de science que du général » comme le rappelle ARISTOTE , on ne peut si l’on veut expliquer une œuvre d’art que la ramener à du général , autrement dit à ce qui n’est pas elle mais à de l’histoire,  à de la religion ,à  de la technique ou à de la philosophie . En fin de compte, on en vient à la nier et à considérer bien imprudemment qu’elle est dépassée . Pourtant ne serait-il pas temps de s’apercevoir que ce qui fait justement la force d’une œuvre d’art c’est, objectivement, son immortalité, le fait que justement elle résiste à son contexte d’origine , qu’elle transcende les circonstances qui l’ont vu naître . N’ y aurait-il pas un monde de l’art qui serait  un monde à part qu’aucun concept,  jamais, ne saurait  saisir ?

 

 

3  l’œuvre d’art : une rivale du concept !   

 

              3.1 l’immortalité de l’œuvre d’art .

 

 

Ce qui frappe dans une œuvre même très lointaine , c’est que les causes qui l’ont produites ont disparu, elles sont obsolètes en tout cas .  L’œuvre, cependant, demeure,elle naît ,dira MALRAUX, au monde de l’art . Il utilise le terme de délivrance emprunté au vocabulaire de l’obstétrique (art d’accoucher).

La délivrance désigne le processus de purification par lequel la création arrache le sujet (le spectacle, le motif, l’histoire) au monde dont il est issu. Elle révèle le caractère inessentiel du sujet . Cette purification joue à deux niveau : dans le passage du spectacle au tableau et dans le passage de l’œuvre au Musée . Dans le passage du spectacle au tableau d’abord , puisque l’acte créateur n’imite pas le réel mais nous en délivre. Dans le passage de l’œuvre au Musé, puisque c’est au sein du musée que l’œuvre apparaît comme pure forme,  délivrée de tout ce qui constituait sa fonction première . 

 

 

"Il est impossible de concevoir le Musée comme historique. Pour un peintre du moins. Ce serait simplement ridicule. Vous vous imaginez un peintre qui arrive devant le Musée en considérant chaque salle comme un produit ? Les colonies produisent des bananes […] Le XVIe siècle produit l'art du XVIe siècle ? C'est dément ! Il est bien entendu que pour n'importe quel peintre, ce qui compte de l'art du passé est présent […] J'avais pris l'exemple du saint : pour celui qui prie, le saint a son point d'appui dans une vie historique. Mais il a une autre vie au moment où on est en train de le prier : quand on le prie, il est présent. En somme, le saint est dans trois temps : il est dans son éternité, il est dans son temps historique ou chronologique, et il est dans le présent. Pour moi, ce serait presque la réponse à la question « qu'est-ce pour vous qu'une œuvre d'art ? » C'est une œuvre qui a un présent. Alors que tout le reste du passé n'a pas de présent. Alexandre a une légende, il a une histoire, mais il n'a pas de présent. Vous sentez bien que vous ne pouvez pas ressentir de la même façon une peinture de Lascaux et un silex taillé. Le silex taillé est dans l'histoire chronologique. Le bison peint y est aussi, mais en même temps, il est ailleurs. Et là, vous mettez le doigt sur ce qui est absolument fondamental à mes yeux. Ce que je dis d'important, c'est ça on ne peut pas concevoir l'art moderne, dans ses rapports avec le musée imaginaire, etc., si on ne commence pas par ressentir que l'œuvre d'art de notre temps est dans un temps qui n'est pas soumis à l'ordre chronologique..."

André MALRAUX, Lazare. Le Miroir des Limbes. Éd. Gallimard, 1974.

 

 

 

 Précisément ce qui oppose une œuvre d’art à un objet technique c’est l’obsolescence ,qu'elle soit"programmée" ou involontaire . Le progrès appartient consubstantiellement  à la technique mais pas à l’art .

Une œuvre d’art n’est jamais dépassée par le progrès technique . L’invention de la perspective ou la photographie n’ont pas supplanté les bleus de Chartres  et c’est vrai que cela étonne .

Comment expliquer , peut-on expliquer ? Ici la question prend une autre dimension puisque nous avons vu que les réponses « classiques » ne nous satisfont pas pleinement .

Il faut en tout cas en prendre acte et admettre que l’approche explicative et objective a

 échoué . Ne serait-il pas temps  d’avoir une approche plus compréhensive et plus descriptive ?

 

 

3.2  L'artiste , le vrai philosophe ?

 

  a) regard sur l'oeuvre d'art :

 

  Si l'oeuvre d'art est chose spirituelle mais qu'elle est aussi chose singulière nous ne pouvons pas l'expliquer mais la comprendre . Expliquer et comprendre peuvent parfois se compléter : le professeur explique, les élèves comprennent (c'est l'idéal !) , mais ces termes peuvent aussi s'opposer ." Les phénomènes de la nature , nous les expliquons, la vie de l'âme nous la comprenons." DILTHEY.

Une oeuvre d'art est l'expression d'une conscience et d'une liberté et sa singularité inépuisable nous autorise non à la définir mais à la décrire .On définit des essences , on décrit des accidents  contingents qui constituent l'individualité d'une chose .  En matière d'art , cette nécessité de la description n'est pas impuissance mais richesse de sens . C'est l'entendement diviseur qui ici est inadapté .

L'oeuvre serait donc ineffable non par un manque mais par un excès et la profusion de commentaires , d'interprétations,   et d'appréciations ?

 

b) l'oeuvre comme regard:

 

A la limite , l'artiste ne serait -il pas capable, bien mieux que le philosophe, "de revenir aux choses mêmes" ?

IL serait celui qui assurerait  le retour aux choses mêmes avant l’émergence du je pense et du je conçois , je juge et je raisonne ? Une œuvre d’art ne serait –elle pas la métaphysique que tout philosophe recherche ? L'artiste ne serait-il pas plus apte que le philosophe à montrer le réel par delà un langage conventionnel et réducteur ?

 

 

  

  Une oeuvre d'art n'est pas un objet comme les autres , parler d'elle comme d'un mystère est sans doute insuffisant car devant un mystère , on se tait et le plus souvent on adhère . Une oeuvre d'art au contraire nous interroge, nous provoque même et nous fait parler, elle est donc pas étrangère à la recherche de la vérité  mais  ce n'est pas nous qui l'interrogeons , c'est nous qui devons écouter ce qu'elle à nous dire .

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pierrot, vagabond des mots et des routes<br /> 03/06/2013 - 22:55<br /> <br /> Votre commentaire est en attente de validation.<br /> <br /> <br /> DANS UN CAFE PHILO<br /> <br /> COUPLET 1<br /> <br /> dans un café philo<br /> pour des profs des ados<br /> où la question était<br /> q’est-il permis d’espérer?<br /> <br /> moi l’vieux hippie<br /> pas invité<br /> j’me suis levé<br /> et j’ai murmuré<br /> <br /> REFRAIN<br /> <br /> faut être prêt<br /> à mourir pour son rêve<br /> <br /> quitte à dormir dehors<br /> car la vie est si brève<br /> <br /> faut être prêt<br /> à mourir pour son rêve<br /> <br /> qiuitte à dormir dehors<br /> car la vie est si brève<br /> <br /> COUPLET 2<br /> <br /> dans un café philo<br /> pour des profs des ados<br /> j’ai dit mort à la mort<br /> par la vie privée oeuvre d’art<br /> <br /> face à leurs profs<br /> aux yeux sans vie<br /> les étudiants<br /> m’ont applaudi<br /> <br /> COUPLET 3<br /> <br /> dans un café philo<br /> dans les yeux des ados<br /> j’ai vu naître l’esquisse<br /> d’un pays oeuvre d’art,<br /> oeuvre d’artistes<br /> <br /> de jeunes rêveurs équitables<br /> des milliers de pèlerins nomades<br /> <br /> allumant des millions de rêves<br /> par des poignées de mains insatiables<br /> <br /> REFRAIN FINAL<br /> <br /> faut être prêt<br /> à mourir pour son rêve<br /> <br /> quitte à dormir dehors<br /> car la vie est si brève<br /> <br /> oui moi je dors dehors<br /> qu’importe si j’en crève<br /> <br /> parce que déjà<br /> ma vie privée oeuvre d’art<br /> s’achève<br /> <br /> Pierrot<br /> vagabond céleste<br /> <br /> Pierrot est l’auteur de l’Île de l’éternité de l’instant présent et des Chansons de Pierrot. Il fut cofondateur de la boîte à chanson Aux deux Pierrots. Il fut aussi l’un des tous premiers<br /> chansonniers du Saint-Vincent, dans le Vieux-Montréal. Pierre Rochette, poète, chansonnier et compositeur, est présentement sur la route, quelque part avec sa guitare, entre ici et ailleurs…<br /> <br /> http://www.enracontantpierrot.blogspot.com<br /> http://www.reveursequitables.com<br /> http://www.demers.qc.ca<br /> chansons de pierrot<br /> <br /> sur youtube<br /> le vagabond celeste<br /> Simon Gauthier conteur<br /> <br /> MONSIEUR 2.7K<br /> roman phénoménologique<br /> http://www.reveursequitables.com, presse, monsieur 2.7k
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